A chacun son Cap Horn…
Saint Malo - Septembre 2006
Quelques temps auparavant, j’ai subi une opération
importante qui m’empêchait de naviguer depuis de trop nombreuses années.
L’envie est donc forte de partir vers l’ouest, histoire de
vérifier que les cailloux de Bretagne
Nord n’ont pas « bougés » depuis 40 ans.
Je quitte donc St
Malo en solitaire, le 13 septembre 2006 en direction de Camaret sur un Cognac, dans son « jus », prêté par l’un de mes amis.
Après des escales « classiques » à Bréhat, Lézardrieux, Perros-Guirec, Batz
puis l’Aber-Wrach, je décide de
rendre visite à un vieux copain qui habite près de l’Aber-Ildut. Une étape classique de croisière côtière dans le
secteur de sinistre mémoire où s’est échoué l’Amoco Cadiz.
L’équipement de Rondine,
mon Cognac, n°21 de la série, est celui de 1968 : voiles d’origine, lampe à
pétrole et moteur hors bord. Seules modernités, je dispose d’un GPS portable et
d’un pilote automatique.
C’est ainsi que le
20 septembre, vers 10h 30 je largue ma bouée dans l’aber par un vent
faible de sud-est. Le plafond nuageux est bas, gris, comme souvent dans ces
parages.
A l’approche du Libenter, le courant étant toujours
contraire, je démarre même le hors-bord durant une heure ou deux. L’après-midi
s’écoule paisiblement, en route vers la grande
basse de Portsall. Le courant devient enfin favorable, la visibilité reste
médiocre, le vent toujours faible de sud /sud-est. Cette direction m’oblige à
tirer un bord vers le sud-ouest, bien aidé, toutefois, par le courant. En fin
d’après-midi, je vire de bord vers le phare du Four, proche de l’entrée de l’Aber-Ildut.
Il est prés de 20
h quand je me présente aux abords de l’aber, la nuit est là. Verts, rouges,
fixes ou scintillants, les bouées et les phares du chenal du Four ne manquent pas. Les feux de la
côte des « naufrageurs » sont nombreux. Trop nombreux à mon goût. Au
milieu de toutes ces lumières, je n’arrive pas à trouver le feu à secteur
directionnel de l’entrée de l’aber. Le GPS
m’indique bien ma position, mais reporter la position à la lampe de poche n’est
pas simple et les cailloux sont proches.
Il me semble plus
raisonnable d’attendre le jour pour rentrer dans la rivière. Je décide donc de
capeyer dans l’ouest de l’aber. Grand-voile ferlée, sous foc seul, le courant
poussant vers le sud, le pilote n’a pas de difficulté à maintenir Rondine sur un cap au sud-ouest en
direction du plateau de la Helle.
Toutes les deux
heures, j’empanne pour rester dans cette zone. Vers minuit, le vent fraîchit
sérieusement, force 5 probablement. Le clapot rend la situation inconfortable. Rappelons que le Cognac
ne fait que 7.30 m .
Dans la nuit, la situation devient sérieuse. J’ai du mal à estimer correctement
la force du vent. Je ne sais que trop bien que, la nuit tout parait
surdimensionné, mais, une certitude, cela souffle fort
A l’aube,
j’aperçois une tourelle. J’ai des difficultés à l’identifier du fait que je ne
trouve plus mes lunettes. Et puis, autant l’avouer, je suis un peu somnolent.
Cela m’apparaît
évident, le vent est établi à 35/40 nœuds de sud-est. Je n’ai aucune visibilité
et me demande si je ne me situe pas plus au nord, dans l’est d’Ouessant. Malgré mes recherches, il
m’est impossible de mettre la main sur mes lunettes, sans lesquelles je ne peux
lire depuis une dizaine d’années. En fuite, afin d’économiser la batterie du
pilote, je barre entre 90° et 110° du vent, à 5/6nds. Cela m’amuse de penser
que, si cela dure un peu, je serais en Irlande
dans 2 jours! La mer reste maniable. Le fetch n’est que de 2 m à 2.5m. Ce qui m’inquiète,
c’est que le vent semble continuer à fraîchir.
Mais, en début
d’après midi, à la renverse, vent contre-courant, la mer devient mauvaise,
hachée et déferlante. Par deux fois, des vagues vicieuses remplissent
partiellement le cockpit. C’est totalement inhabituel. Je me vois mal continuer
à barrer dans ces conditions.
Pourtant
correctement amarrée, la bouée fer à cheval s’envole. C’est le déclic : « Basta, cela commence à bien faire ».
Je me décide à affaler le foc 1.
Puis, je passe à la seconde punition: envoyer le tourmentin. Tant bien que mal, je vais chercher "en bas"cette voile confectionnée à la Voilerie Richard de St Servan, il y a une bonne trentaine d'années. Je traine son sac sur le pont tant bien que mal puis, un à un, je frappe les mousquetons en me cramponnant.
Autant l’avouer, il y a bien longtemps que je ne m’étais livré à de telles acrobaties sur un aussi petit bateau. Et dire qu’il n’y a pas si longtemps je passais de longues journées sur un lit d’hôpital ! Je ne connaissais pas mon bonheur!
La voile souquée, bien étarquées, l'écoute au vent bordée, avec la barre sous le vent, Rondine réagit bien, presque confortablement.
Puis, je passe à la seconde punition: envoyer le tourmentin. Tant bien que mal, je vais chercher "en bas"cette voile confectionnée à la Voilerie Richard de St Servan, il y a une bonne trentaine d'années. Je traine son sac sur le pont tant bien que mal puis, un à un, je frappe les mousquetons en me cramponnant.
Autant l’avouer, il y a bien longtemps que je ne m’étais livré à de telles acrobaties sur un aussi petit bateau. Et dire qu’il n’y a pas si longtemps je passais de longues journées sur un lit d’hôpital ! Je ne connaissais pas mon bonheur!
La voile souquée, bien étarquées, l'écoute au vent bordée, avec la barre sous le vent, Rondine réagit bien, presque confortablement.
J’estime me situer
dans le nord-ouest d’Ouessant, et
empanne. Rondine obtempère sans
aucune difficulté. Vers 16 h, le bas-hauban bâbord, sous le vent, flotte dangereusement. Je suis obligé d’aller
le reprendre avant qu’il ne se dévisse totalement. Un vrai plaisir ! Heureusement, j’ai de l’eau à courir avant
d’atteindre les côtes anglaises, dans mon nord. La chaise du moteur hors-bord
donne des signes de fatigue, mais je me vois mal rentrer ce moteur. Je le saisi
solidement.
Le foc ferlé
serré, la barre amarrée légèrement sous le vent, le bateau tient une route correcte
vers le nord-est en cape courante entre 90 et 120° du vent. C’est presque
confortable, j’en suis surpris. A une vitesse de 3 à 4 noeuds, Rondine embarde en gardant une gîte de 30
à 60°, somme toute, acceptable.
Avec régularité, après un choc de la vague sur son flanc tribord, plus ou moins violent, il glisse sur son bouchain sur la crête en gîtant et abattant légèrement avant de subir la vague suivante. Après quelques minutes d’inquiétude, je me suis habitué à ses mouvements. Il faut préciser que ce bateau possède un aileron important devant le safran.
Avec régularité, après un choc de la vague sur son flanc tribord, plus ou moins violent, il glisse sur son bouchain sur la crête en gîtant et abattant légèrement avant de subir la vague suivante. Après quelques minutes d’inquiétude, je me suis habitué à ses mouvements. Il faut préciser que ce bateau possède un aileron important devant le safran.
Les embruns volent
à l’horizontal, les haubans sifflent. Je commence à penser que le vent est plus
prés de 50 noeuds que de 40, peut-être même plus. Ce qui me soucie, c’est que
le suet peut durer plusieurs jours.
Je me félicite de
ne pas être équipé de l’enrouleur qui équipe la majorité des croiseurs modernes
car j’imagine le fardage et les coups de gîte qu’il entraînerait!
Dans la soirée, je
suis manifestement sur le rail montant,
dans le nord d’Ouessant car,
dans l’après midi, une dizaine de cargos, porte-containers et autres
chimiquiers me croisent, le nez dans la plume. Plusieurs mastodontes aussi,
chargés de containers. Dans la boucaille, la visibilité reste faible et j’ai
conscience d’avoir eu une certaine chance mais aucun ne me frôle. Je m’astreins
à une veille régulière, à l’abri de la capote bienvenue, mais il m’est
impossible de regarder au vent tant les embruns me mitraillent !
La mer a grossi.
Les vagues font sans doute 3 m ,
difficile de le dire. En tout cas, leurs crêtes volent à l’horizontale. De
temps à autre, un choc violent frappe le bordé au vent. Les vibrations des
haubans, le hurlement du vent sont insupportables. Je ne veux pas imaginer que
le vent dépasse sûrement 50 noeuds, pourtant les crêtes des vagues sont
arrachées, les embruns volent en permanence à l’horizontal. Dans les surventes,
le sifflement est incroyable, lancinant.
Habitué aux embardées
de mon brave Rondine, j’alterne les
périodes de demi-sommeil et de veille, histoire de me donner bonne conscience.
Mais je n’aperçois plus aucune lumière lors de mes tours d’horizon nocturne…
Au petit matin, je
retrouve par hasard mes lunettes dans les fonds. Je peux de nouveau lire mon GPS qui m’indique :
49°25 N 4°29 W. Parti pour du cabotage côtier, je ne dispose plus de cartes
pour reporter ma position. Par rapprochement des points indiqués sur l’Almanach
du Marin Breton, je me situe à la hauteur de Guernesey et de la pointe de
Pontusval.
Avant d’atteindre les côtes anglaises du côté de Start Point à 55 milles, j’empanne et mon Cognac obtempère docilement. Mon nouveau cap me dirige vers l’Amérique… Depuis la fin de nuit, je ne vois plus de feux. Tout en restant fort, le vent a faiblit. Il n’y a plus ces surventes qui couchent le bateau pendant de longues minutes.
Avant d’atteindre les côtes anglaises du côté de Start Point à 55 milles, j’empanne et mon Cognac obtempère docilement. Mon nouveau cap me dirige vers l’Amérique… Depuis la fin de nuit, je ne vois plus de feux. Tout en restant fort, le vent a faiblit. Il n’y a plus ces surventes qui couchent le bateau pendant de longues minutes.
Je commence à
restreindre ma consommation d’eau car il ne me reste en tout et pour tout
qu’une bouteille de 1.5 l .
De temps à autre, j’éponge quelques litres d’eau dans les fonds, provenant
d’embruns et de pluie projetés régulièrement par le haut du panneau de descente. Mais
dans l’ensemble, mes habitudes de vieux célibataire font que tout à bord est en
ordre, correctement saisi.
Evidemment, je reste
en permanence habillé en ciré complet et mon âge certain se contente de peu de sommeil… Coté
nourriture, j’arrive à me cuisiner des oeufs sur le plat. La journée est
rythmée par les cafés et les soupes dont je ne manque pas. L’avantage d’un petit bateau est que tout
reste à portée de mains…
Les heures
s’écoulent régulièrement, bien calé sur la couchette sous le vent et, entre un
café et une soupe, une certaine routine s’installe. La lecture des maximes d’un
vieil Almanach abandonné dans un
équipet me rappelle qu’ « il vaut
mieux avoir un troisième enfant qu’un congélateur neuf… ». De temps à
autre, je pousse une gueulante, cela soulage.
Dans la soirée,
j’aperçois trois trombes à l’horizon simultanément, ce que les
journalistes appellent improprement mini-tornades! Je n’en avais jamais
vu !
Une nouvelle nuit
s’écoule, j’ai pris mes marques mais le sifflement du vent dans les haubans est
toujours aussi insoutenable. Il me semble que le vent tourne légèrement vers
l’est. Je m’assoupis quelques heures, et au réveil, surprise ! A l’aube du
23, tout est calme, c’est terminé.
Tout cela est relatif, mais le vent a sérieusement mollit, il n’y a sans doute plus que 25 à 30 nœuds d’est. Que du bonheur ! Le GPS m’indique la position : 48°56 N 7°58 W. Je constaterais après coup que je me situais à 110 milles dans le nord-ouest d’Ouessant, à 75 milles des Scilly et 135 milles de Camaret.
Tout cela est relatif, mais le vent a sérieusement mollit, il n’y a sans doute plus que 25 à 30 nœuds d’est. Que du bonheur ! Le GPS m’indique la position : 48°56 N 7°58 W. Je constaterais après coup que je me situais à 110 milles dans le nord-ouest d’Ouessant, à 75 milles des Scilly et 135 milles de Camaret.
Dans l’après midi,
bien que la mer soit encore formée, le vent ayant progressivement tourné vers
le nord et faiblit, je reprend ma route vers l’est en renvoyant la grand-voile
avec un ris et le foc 1. Rondine,
sous-toilé, plante des pieux, mais cela permet au bonhomme de récupérer. Grâce
aux quelques ampères économisées, le pilote fonctionne honorablement durant
toute la nuit. Progressivement, la mer se calme. Ce bord vers l’est me parait
interminable.
En fin de nuit, je
croise de nouveau les cargos. C’est bon signe. Dans la matinée, le vent mollit
à force 2 à 3 de nord! Le GPS me situe à 48°35 N 5°07 W soit 7
milles dans le nord-ouest d’Ouessant.
L’horizon est toujours bouché.
Dans le courant de
la matinée, la visibilité se dégage, j’aperçois Ouessant dans l’est puis, deux heures plus tard, la pointe St Mathieu. La journée du 24
s’écoule paisiblement en mer d’Iroise
dans un vent faible de secteur nord et une mer résiduelle. Durant l’après-midi,
je longe les Tas de Pois sous le
soleil avant d’arrondir la jetée de Camaret
à 18 h, en tee-shirt.
Rondine a effectué les 35 milles de l’Aber Wrach à Camaret en 96 heures mais aussi plus de 350 milles sur le fond !
Rondine a effectué les 35 milles de l’Aber Wrach à Camaret en 96 heures mais aussi plus de 350 milles sur le fond !
Je m’empresse de
téléphoner à mon PC à St Malo. Mon
ami Patrice est soulagé, c’est un euphémisme, de m’entendre. Marin expérimenté,
n’ayant pas de nouvelles de ma part depuis 4 jours, mes copains et lui étaient à deux doigts de
déclencher les secours. Heureusement, le vent à St Malo était beaucoup plus faible et ils n’ont pas imaginés les
conditions réelles que je subissais.
En consultant
ultérieurement les relevés météo, j’ai découvert que METEO CONSULT
prévoyait sur Manche Ouest :
Vent force 8 à 10 de sud-est- 50 à 55 nds
- 70 nds sous grains
Et que la bouée
des Scilly à quelques dizaines de milles a enregistré le 21 septembre à 17
h : un « vent moyen de 48
noeuds et des pointes à 70 nds. »
Si
c’était à refaire :
-
J’aurais étudié de prés le passage à
terre plus court entre l’Aber-Wrach et l’Aber-Ildut.
-
J’aurais écouté plus attentivement la
météo.
-
J’apprendrais à mieux utiliser le GPS
portable.
-
Et surtout :
-
J’emporterais une carte
« routière ».
-
J’emmènerais une deuxième paire de
lunettes
Philippe MOUTON dit
localement « Vito Dumas »
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