vendredi 27 janvier 2017

Coulé par un "Ami sincère"

Saint Cast -  octobre 2008

C’était une belle journée d'automne. 

Rondine, un Cognac, n°21 de la série, construit par Aubin en 1968 possède toujours des voiles d’origine ! Une peinture bleu marine vient de lui redonner belle allure. Quand à moi, il y a plus de 50 ans que je navigue à la voile.


Parti de St Malo dans la matinée avec mon ami Philippe nous avions mouillé pour déjeuner devant le petit port de St Géran, au fond de la baie de la Fresnaye, à deux pas du Cap Fréhel. Avant de relever le mouillage, j’avais endraillé le foc 1, car, comme prévu, le vent de sud-ouest avait fraîchi à l’approche de la dépression annoncée.

Après avoir longé le Fort La Latte, dès la sortie de la baie, une belle brise d’une vingtaine de nœuds nous poussait à 100/110° du vent. 

Philippe est à la barre, Rondine, bien gîté, tribord amure, marche fort, autour de 6 nœuds. La visibilité est excellente et nous faisons route vers la tourelle de Nerput afin d’embouquer le chenal du décollé. A environ 2 milles dans le nord-est du sémaphore de St Cast, nous sommes en vue de quelques bateaux de pêche, seuls sur l’eau en ce jour de semaine. En se penchant sous le vent, nous apercevons les « moustaches » de l’un d’entre eux, sur notre avant bâbord ( à 11h), à environ un demi-mille, qui fait route vers nous. Il passera derrière.

Je me recale dans l’angle du cockpit tribord. Peu de temps après, Philippe, à la barre, m’indique : « le pêcheur se rapproche ». Il l’aperçoit de temps à autre sous le foc bien débordé. Je me penche sous le vent et identifie, un bateau de 8 à 9 m en aluminium, avec une coque semi-planante. 

Il va vite, et se trouve maintenant en route de collision à environ 300 m. Penché sous le vent, je le surveille en permanence et pense, comme mon barreur, qu’il nous frôlera sur l’arrière. « Encore un C…qui veut s'amuser d’un plaisancier », pensais-je en mon for intérieur.

 Et, comme il y a une trentaine d’années, lorsque je régatais assidument,  l’interrogation classique, passera t-il devant ou derrière se pose. Je ne suis plus certain qu’il passera derrière, il semble même nous couper la route. Faut il abattre ou lofer ? Mais il va vite, le bougre, 12, 15 nœuds, je ne sais, et le risque de collision devient évident, « quel c.. ».

Je recommande au barreur de garder sa route afin d’éviter que nous abattions tous deux au même moment. C’est trop tard. A pleine vitesse, le caseyeur nous percute à hauteur de la cloison de cockpit bâbord et nous bouscule violemment.  Que s’est il passé dans les secondes qui ont suivi ? C’est difficile à dire, bousculé comme nous l’avons été.

Rondine à démâté immédiatement, je suis aveuglé par le sang qui coule d’une blessure à la tête, mon bras est douloureux et le bateau se remplit d’eau, très vite. En vain, Philippe a essayé de récupérer ses affaires à l’intérieur. Presque immédiatement après nous avoir percuté, le caseyeur a coupé les gaz puis fait marche arrière pour nous récupérer sur son arrière facile d’accès alors que Rondine s'enfonçait, nous avions de l’eau jusqu’aux épaules quand nous avons nagé jusqu'à notre agresseur stoppé à deux mètres qui, cela ne s’invente pas, s’appelle : "L’ami sincère "

L’un des trois solides pêcheurs m’a empoigné et précipité, la tête en avant, dans les bacs au milieu des araignées. Il était 15 h 35 h. Un peu choqués, nous ne parlons pas. Les pêcheurs non plus. Ils s’occupent de leurs araignées… Nous avons droit à une seule phrase du patron: « il y avait de la buée... » Manifestement, ce n’est qu’une péripétie dans leur journée. Ils diront qu’ils ont récupérés des naufragés et réfléchissent sûrement à trouver une explication honorable…

Une dizaine de minutes après, nous débarquons à la cale de St Cast ou une ambulance avait été appelée pour nous recueillir. En fait d’ambulance, c’est la Gendarmerie qui nous attend et nous fait subir un alcootest ainsi qu’aux trois pêcheurs. Test négatif pour tout le monde. Il y a peu d’humanité dans leur travail, c’est un contrôle parmi d’autres.

Nous nous abritons  dans la « bijute » de " L' ami sincère "  et attendons l’ambulance. Les pêcheurs débarquent leurs caisses d’araignées. Trempés, frigorifiés, blessés, nous commençons à réaliser le coté surréaliste de notre situation. Mon coude, déboité, est très douloureux, je saigne d’une plaie au front. 

Il y a une demi-heure nous partagions une belle journée de navigation, et maintenant nous attendons sagement que l’on nous prenne en charge alors que tout le monde s’agite autour de nous. De temps à autre, « on » nous dit que l’ambulance arrive. Ce qu’elle fera, effectivement, après 30 minutes d’attente sur la cale !

Une vingtaine de minute plus tard, nous arrivons à l’hôpital de Dinan, le plus proche. Il y a 1 h 20 que nous avons coulés, que nous sommes trempés. Nous sommes frigorifiés. Depuis une heure que nous sommes à terre, personne ne nous a proposé de nous changer ou une boisson chaude… Pas une  excuse, une seule phrase... 

Il est probable qu’avec nos 69 et 73 ans, trempés, nous les effrayions… Nous avons été ensuite été entendu par la Gendarmerie Maritime, avec compétence et humanité.

Vous l'avez compris, notre chauffard s'appelle « l'ami sincère ».Je ne reverrais plus Rondine, sans doute est-ce une belle mort pour un voilier ?

Qu’aurions nous dû faire :

Notre grosse erreur a été de ne pas imaginer que, dans cette zone fréquentée, un bateau rapide soit sous pilote automatique. 

Mais qui n’a jamais été frôlé à quelques mètres par un bateau de pêche ?

Sans doute, un plaisancier moins expérimenté n’aurait pas osé maintenir sa route alors que les deux bateaux étaient à moins de 100 m et aurait abattu en grand au risque de se retrouver coupé en deux par le bateau de pêche qui aurait fait sa manœuvre d’évitement logique.

Par chance, notre route était tellement convergente, que le bateau de pêche a « rebondi », en la défonçant sur la coté bâbord de notre Cognac. S'il nous avait percuté par le travers, il nous écrasait. 

Dans ce cas, peut être aussi, aurions nous pu l'éviter en virant au dernier moment ?


Avec des si, il est toujours facile de trouver des solutions. 


EPILOGUE:


L'assurance a remboursé rapidement (deux mois) le propriétaire.


Le tribunal a condamné le pécheur, un patron salarié, à régler une somme de 10 000 € . Ce salarié s'est rendu insolvable. Il a fallu d'autres actions en justice (procédure diverses, huissier...)  pour qu'en 10 ans, cette somme soit partiellement recouvrée. 

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