jeudi 30 mai 2013

Le louvoyage, deux fois la route, trois fois la peine…



Granville – Cherbourg: 20 h pour effectuer 80 milles en route directe.

Artem, le nouveau propriétaire russe de notre ancien A 40 avait l’obligation de se rendre à Cowes . En effet, professionnel exploitant son voilier en école de course, il devait accueillir ses 11 premiers « clients » provenant du monde entier (Dubaï, Russie, Afrique…) afin de courir la course du R.O.R.C Myth of Malham (230 milles).

Depuis deux semaines, il travaillait quotidiennement 12 h à préparer son voilier qui s’appelle désormais KNYAZ. Mais du fait des nombreux jours fériés qui caractérisent notre mois de mai, il a accumulé du retard par rapport à son planning. Or je m’étais engagé à l'aider à convoyer son voilier quelques temps auparavant.

Du fait de retards de livraison,  l’A40 n’a pu être maté que le mercredi 23 mai. Les météos pour les 48 h  à venir s’annonçaient catastrophiques. Jeudi 24 : vent de nord nord-ouest force 25 à 30 nœuds tournant nord puis nord nord-est 35 à 38 nœuds au milieu du « Channel » le vendredi. De plus, nous sommes en vives eaux et les coefficients de marée approchent les 95.

Arrivés à 5 h du matin sur le bateau, nous sommes donc partis de Granville à la marée descendante à 8 h après avoir passé 3 h à terminer les derniers montages et rangements. Dès le départ, avec 30 nœuds en moyenne, le vent est plus fort que ce qu’annonçaient les météos: Passage Weather, Windfinder, Windguru, Météo France...

De plus, les drosses de barre ont été montée à l’envers durant la nuit. Quand l’on tourne la barre à droite, le voilier va à bâbord et réciproquement ! Ne pouvant perdre plus de temps en ratant une marée, nous décidons de continuer ainsi jusqu’à Jersey.

Nous naviguons sous deux ris et ORC avec la mer difficile dont les « Manchards » ont l’habitude par vent contre courant. A l’approche de Chausey, nous sommes à mi-marée et je choisis de remonter le chenal Beauchamp au louvoyage afin de bénéficier d’une demi-heure de mer calme.

Partis avec 2 h en retard sur la marée, je sais déjà que nous refoulerons du courant en arrivant à proximité de Jersey.

Que ce soit dans l’est pour se rendre au mouillage de Gorey par La Déroute  ou à la Demie de Pas si l’on va à St Hélier. Je tire un bord vers le nord et ferai un choix à la Basse Le Marié.

Dans les claques, l'anémomêtre est régulièrement autour de 37 nœuds (vent réel ), KNYAZ gite excessivement mais avance quand même à 6,5 nœuds. Il encaisse des chocs difficilement descriptibles. Il est intéressant de noter qu’en régate avec les voiles de course et 9 équipiers nous avancerions sous solent et grand voile entière à 7 nœuds.

Heureusement, le soleil brille.

A l’approche du Banc Violet, je choisis de tenter d’arriver à St Hélier alors que je sais que nous devrons refouler deux heures de courant contraire à hauteur de la Demie de Pas.

Lors d’un virement de bord, je fais une chute anodine dans le cockpit qui m’occasionne une vive douleur passagère dans le dos.

Une heure après, comme prévu, nous tirons des bords en vue de Saint Hélier avec 2,5 nœuds de courant contraire. Notre dérive est impressionnante mais, bord après bord,  nous remontons au vent.

En 20 minutes, au ponton d’accueil de St Hélier, Artem a "remonté" la barre dans le bons sens, elle est redevenue fonctionnelle. Ma douleur dans le dos devient pénible et je pars chez Boot’s à la pêche aux anti-inflammatoires  et aux informations météo.

Artem se couche, il a dormi 40 mn la nuit précédente !







Les prévisions sont toujours aussi mauvaises.  « Jersey forecast » habituellement fiable, annonce force 8 ; « Passage Weather », 38 nœuds dans le milieu de la Manche ; toutes les 15 mn, le Cross Jobourg  annonce un BMS pour la soirée.

Je reviens informer Artem qu’il lui faut abandonner l’idée d’être en Angleterre au départ de la course. C’est alors qu’il m’explique les raisons financières impératives qui le poussent à traverser coûte que coûte. Je le comprends d’autant mieux que si j’avais 37 ans et ses obligations, je prendrais la même décision déraisonnable.

Du fait de ma douleur dorsale, vive par moment, je crains fort de ne pas être opérationnel sur le pont. Je ne suis pas « chaud » pour naviguer de nuit dans de telles conditions, mais Artem insiste lourdement et me demande de lui assurer seulement la navigation.

Nous quittons donc St Hélier vers 22 h alors que nous n’allons bénéficier que de deux heures de courant portant jusqu’à Corbière. Abrités par Noirmont et la côte sud de Jersey, nous avançons à 8/9 nœuds sur le fond. Dans le sud  de Ste Broladre, une dizaine de fois, nous prenons la houle de face (2,5m) et retombons brutalement dans le creux suivant.

Nos virons de bord, à un mille dans l’ouest du phare de Corbière. Le vent est moins fort que prévu (25 nœuds de nord-ouest). Aussi malgré le courant qui devient progressivement contraire, nous maintenant un cap fond correct au 350° qui nous emmène vers la Basse Blanchard, dans l’est de Serck.

En effet, nous arrivons à nous appuyer sur le courant contraire de 2,5 / 3 nœuds qui nous remonte au vent. Autre avantage, si nous n’allons pas vite sur le fond ( 3,5 à 4 nœuds) la mer est relativement facile, le bateau tape peu. De plus, la lune brille.

Chaque heure au minimum, j’effectue un point à l’ancienne, ou presque. En effet, je ne dispose que d’un GPS et l’éclairage de la table à carte est faible. Aussi, j’utilise une bonne vieille lampe de poche et la règle Cras pour reporter mes points sur la carte.

Progressivement, comme prévu, le vent refuse au nord nord-ouest et le courant faiblit. Le vent remonte autour de 30 nœuds. Je me félicite donc d’avoir pris du « gras » au vent afin de passer le Raz Blanchard à proximité d’Aurigny plutôt qu’à la Foraine.

Nous longeons le banc de la Schôle, sous le vent. Les feux de La Hague et le phare de Pointe Quénard sur Aurigny clignotent. Le pilote automatique ne fonctionne plus, Artem, rivé à la barre est heureux, enthousiasmé par son voilier. Je le relaie de temps à autre. La nuit se passe bien. C’est alors qu’il m’informe que son ami russe Iskander a pris le ferry cette nuit pour me remplacer à Cherbourg. J’en suis bien heureux…

Nous approchons d’Aurigny à l’heure du « slack » aussi, nous pouvons abattre franchement vers le milieu du Raz puis vers le nord du Gros du Raz. Ainsi, le Raz est relativement calme et nous atteignons facilement une vitesse fond de 12 nœuds.

A 7 h, nous tirons des bords sous grand voile dans la petite rade de Cherbourg. Le moteur se refusant à démarrer, ce qu’il n’avait jamais fait en 9 années. Nous arrivons à le réamorcer.

Dès le retour à Granville, un ostéopathe me remet en place l’articulation sacro-illiaque…


Depuis, je jongle… mais cela s’améliore. Quand à Artem et son copain, ils sont repartis immédiatement vers Cowes où j’imagine qu’ils sont arrivés dans la soirée.















Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais…


On ne navigue pas :


- quand toutes les météos sont convergentes et prévoient des vents de 25 à 38 nœuds avec rafales.

- quand un BMS est en cours dans notre zone de navigation précise.

- quand les 140 milles doivent être effectués au louvoyage.

- en vives eaux , courant contre le vent .

- avec un voilier qui vient juste d’être rematé.

- contre le courant au louvoyage.

- dans le Raz Blanchard par vent contre-courant. ( ce que nous n'avons pas fait ).















































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