« La deuxième course envoie tout le monde virer Belle-Ile :
106 milles, par une météo qui annonce une » petite dépression sur la Vendée . Peu après le
départ, la brise monte les échelons Beaufort deux à deux. Les tragédiens
parleront d’un force 10, les scientifiques parleront d’un force 10, les
pragmatiques se souviendront d’un vigoureux 8. Bref, sur 107 partants, 14
finissent la course. ROMANEE, fort de sa robustesse, gagne cette épreuve
vigoureuse. » » J-M. Barrault –
Voiles &Voiliers de mai 1974
« Pour la grande course de 106 milles, nos futurs administrateurs
d’entreprise connurent un coup de vent soudain et peu prévisible. Force 10,
dirent certains, les plus raisonnables annoncèrent force 8 avec rafales à 9.
Résultat, sur 110 bateaux, 19 franchissaient la ligne d’arrivée. » Neptune Nautisme
de mai 1974
Au printemps 1974, je courais
à Lorient et la Trinité
sur un Flush Poker : « Viking ».
A l’époque, c’était un voilier de pointe, les « gros » voiliers
étaient les classe V : Arpège, Super Arlequin, Impensable… Il y avait
aussi deux ou trois « très gros » : Chance 37, Contessa 35, Dufour 35, Subversion, Centurion,
…
Fort de nos bons résultats,
nous prenions le départ de la course de l’Edhec au départ de Pornic avec des
ambitions. Notre équipage de lycéens teigneux étant la base de notre équipage
habituel lors des entraînements d’hiver de La Trinité.
Au départ de la grande course
de 106 milles, la météo était médiocre puisqu’une dépression sévissait sur la Bretagne. Partir
pour un long bord de louvoyage vers Belle-Ile dans la pluie par force 6 à 7
n’est jamais très enthousiasmant.
Pourtant, vers 10 h du matin,
107 voiliers ont pris le départ. Au cours de la matinée, sous foc inter,
nous tirons des bords vers Hoëdic. L’équipage reste stoïque au rappel. Avec la
fougue de nos 20 ans, nous sommes persuadés que « c’est notre temps »
et que « nous allons faire un truc ». D‘ailleurs au fil des
croisements dans la boucaille, il se confirme que notre Flush « marche ».
Nous croisons plutôt des Folie Douce, des Arpège que des voiliers de notre
taille. Cela entretien le moral.
Dans l’après-midi, le vent
forcit encore, jusqu’à force 7 probablement. Nous passons sous foc 1 avec 2
ris. Heureusement, relativement abrités par Belle-Ile dans notre ouest, la mer
n’est pas trop mauvaise.
A la nuit tombée, nous
apercevons les feux du Palais devant nous et envoyons le foc 2. Je commence à
me demander s’il ne serait pas plus raisonnable de s’abriter pour la nuit car
cela souffle fort et ne sommes que deux barreurs efficaces.
Soudain, dans la nuit, nous
croisons de près la Scoumoune », un
« Ecume de mer "Petite-fleur », le
gagnant des entraînements d’hiver de Lorient qui, normalement, est plus rapide
que nous et court pour gagner. Notre moral remonte d’un coup. Nous évacuons
vite l’idée de prendre la première à gauche… Les dés sont jetés, nous
continuons donc vers la pointe des Poulains, la pointe ouest de Belle-Ile. Les
copains restent, stoïques, au rappel dans leurs cirés jaune, Equinoxe ou
Cotten.
Abrités sous le vent de l’île
proche, Claude nous mitonne une purée et une soupe bienvenues. Après avoir été
pointé par un dragueur de la
Marine , nous doublons la pointe des Poulains vers deux heures
du matin et, abattant au largue, retrouvons les creux de 3 à 4 m formés par la houle du large. Nous apercevons
les brisants sur les falaises à 2 ou 300 m sous le vent, sur bâbord. Ce n’est pas le
moment de démâter !
C’est un soulagement de
débouler à 6.5 noeuds, d’être sur la route du retour. Psychologiquement, nous
sommes quasiment arrivés alors que nous n’en sommes qu’à mi-parcours.
Pourtant, après une heure ou
deux, le vent adonne au point que nous passons grand largue puis devons
empanner bâbord amure. Le vent est maintenant nord-ouest, il a brutalement
fraîchi. Dans les grains de neige, la visibilité est nulle et le vent atteint
sans doute 50 nœuds, voire plus. Nous pensons tous aux récits de Grand Louis, Pen Duick VI, Kriter au Cap
Horn ; eux qui, à ce moment même, terminent la première Course autour
du monde à la voile : la Whitbread.
Bien
que frigorifiés, nous sommes à l’aise et, finalement, je ne regrette pas
d’avoir gardé le foc 2. Chacun son tour, la couchette au vent voit se succéder
les équipiers pour une heure ou deux.
Dans la matinée, entre deux
grains, la visibilité devient bonne et le vent mollit mais nous n’avons pas le
courage de renvoyer un foc plus grand. Nous ne sommes plus réellement en
course, et nous contentons de larguer un ris, ce qui ne nous empêche pas de
filer bon train. Devant, nous à l’horizon, nous apercevons une seule voile,
derrière nous aucune.
En fin de matinée, nous
franchissons la ligne d’arrivée devant Pornic. De nombreux concurrents sont
déjà amarrés aux pontons. C’est alors que nous apprenons que sur 107 bateaux au
départ, la majorité ont abandonnés et seulement 14 ont terminés !
Déception pour nous, même si nous sommes bien placés dans notre classe, c’est
un Folie-Douce qui gagne en temps compensé.
Ce sera le début d’une
polémique dans la presse nautique, s’interrogeant sur l’opportunité de lancer
des équipages d’étudiants par de telles conditions. « Cette rencontre nautique des grandes écoles européennes mérite
donc de se développer mais avec quelques précautions et avec une sélection plus
sérieuse des équipages… »
Jean Michel Barrault Neptune
Nautisme de mai 1974
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