Naviguer à l'estime nous procurait de grandes satisfactions,
de longues inquiétudes et parfois, des frayeurs rétrospectives.
Il me semble qu'en naviguant beaucoup, nous acquérions un 6ième sens. Plusieurs fois, j'ai fait des choix que je qualifierais d'irrationnels et qui se sont avérés payants, mais après les avoir ruminés longtemps dans ma couchette.
Pourquoi ai je décidé qu'il fallait virer là plutôt qu'une heure après alors que nous n'avions rien vu depuis 4 heures? Pour tomber pile sur les Têtes d'Aval 3 h plus tard.
Peut être aussi, notre mémoire sélective nous fait elle oublier nos grosses erreurs. Confondre les falaises de la pointe Anvil et celles de l'ile de Wight par exemple...
Il me semble qu'en naviguant beaucoup, nous acquérions un 6ième sens. Plusieurs fois, j'ai fait des choix que je qualifierais d'irrationnels et qui se sont avérés payants, mais après les avoir ruminés longtemps dans ma couchette.
Pourquoi ai je décidé qu'il fallait virer là plutôt qu'une heure après alors que nous n'avions rien vu depuis 4 heures? Pour tomber pile sur les Têtes d'Aval 3 h plus tard.
Peut être aussi, notre mémoire sélective nous fait elle oublier nos grosses erreurs. Confondre les falaises de la pointe Anvil et celles de l'ile de Wight par exemple...
SANS CARTES, SANS VHF, SANS GPS de Bénodet à Cowes:
« En 1982, arrivés de nuit sur « Lady Be Good », un two tonner de Ron Holland que nous devions convoyer de Bénodet à Cowes, nous découvrons au moment de partir, tôt le matin, que les cartes n’étaient pas à bord.
Le vent était de nord-est et la visibilité médiocre, mais cela ne nous a pas empêché de louvoyer jusque dans le Solent où nous sommes arrivés le lendemain, sans difficulté particulière.
Vous aurez noté qu’à l’époque nous ne disposions pas de GPS, ni même de decca.
Le pif, rien que le pif et une expérience certaine. »
« En 1982, arrivés de nuit sur « Lady Be Good », un two tonner de Ron Holland que nous devions convoyer de Bénodet à Cowes, nous découvrons au moment de partir, tôt le matin, que les cartes n’étaient pas à bord.
Le vent était de nord-est et la visibilité médiocre, mais cela ne nous a pas empêché de louvoyer jusque dans le Solent où nous sommes arrivés le lendemain, sans difficulté particulière.
Vous aurez noté qu’à l’époque nous ne disposions pas de GPS, ni même de decca.
Le pif, rien que le pif et une expérience certaine. »
En réalité, cette navigation n’était ni compliquée, ni
très risquée… En tout cas, nettement moins qu’avec des vaisseaux du 17 ième
siècle ou les morutiers qui rentraient des bancs de Terre-neuve.
De mémoire, voilà ce que nous avons dû faire :
« En partant vers 6 h de Bénodet avec une brise
portante de nord-est, il n’est pas
difficile de sortir de la baie vers Lesconil, Le Guilvinec puis Penmarch en
veillant attentivement les bouées et tourelles non éclairées nombreuses dans
ces parages.
Vers 7 h 30, après le Menhir de Penmarch, on lofe vers le
nord-ouest au largue à 9 nœuds vers le Raz de Sein. Je sais qu’il y en a
approximativement pour deux heures et fait une route un peu plus nord que
nécessaire pour reconnaître la pointe vers Plogoff et être sur de ne pas
embouquer le Raz de Sein sans rien voir.
Un peu avant 9 h, la cote apparaît devant. On abat un peu vers la Plate. Puis cap au nord, en direction du chenal du Four, courant du début de renverse favorable. Vers 10 h 30, 11 h,
nous devrions être à l’entrée du chenal du Four. Là aussi, je lofe plutôt vers
l’est de la pointe St Mathieu pour être sur de la reconnaître.
Ce qui est fait sans coup férir puisque nous "tombons" sur
la tourelle rouge des Vieux Moines. La visibilité est faible, autour de 500 m . Au près, à 10 nœuds
sur le fond, il faut veiller attentivement pour éviter les bouées et la Grande Vinotière
que nous apercevons sur tribord.
Plus dans le nord, nous apercevons une bouée que nous
allons reconnaître, il s’agit de La Luronne.
Il est 11 h. Nous lofons au près serré. Depuis un moment,
nous entendons la corne lugubre du phare du Four.
La corne s’estompe puis disparaît. Nous devons nous
trouver un peu sous le vent de la Basse Portsall. Comme souvent dans ces parages,
la visibilité est franchement faible, 100 m , 200 m , c'est difficile à dire. Pas plus en tout cas.
Le vent à fraîchit à 25 nœuds et, sous un ris et petit
foc, avec une mer cassante, nous continuons au près un bord vers le nord d’une heure puis
virons vers l’est, toujours avec le courant favorable. L’objectif étant
d’essayer de reconnaître les bouées Lizen Ven ou Aman ar Ross.
Après trois heures bâbord amures, (15 h ) la visibilité
s’est améliorée mais nous n’avons pas aperçu les bouées. Par contre, nous avons
vu un pêcheur sur notre tribord, ce qui est bon signe. Nous approchons de l’ile
de Batz qui est surement devant nous mais le courant s’inverse et devient contraire.
Je préfère virer cap au nord à cause du courant contraire qui nous dépale
dans l’ouest plutôt que de me trouver dans les roches du nord de Batz comme
cela m’est arrivé quelques années auparavant. Je prévois un bord de trois
heures avant de repartir à l’est en étant certain d’avoir paré l’ile de Batz,
les Triagoz et en espérant apercevoir le
feu des Sept Iles dans notre Sud.
Vers 22 h, de fait, nous apercevons un feu mais devant
nous, alors que je l’espérais sous le vent. Il s’agit bien des Sept Iles; la
visibilité s’est bien améliorée et est surement de l’ordre de 1 mille.
Nous virons à proximité de l’ile pour un long bord tribord
amure vers l’Angleterre. La nuit s’écoule au rythme des quarts (nous ne sommes
que quatre à bord) et à l’aube, j’estime que nous sommes dans l’ouest de Guernesey.
De fait, quelques heures plus tard (10 / 11h) nous
apercevons les premiers cargos du rail montant puis, ensuite, ceux du rail
descendant. Nous approchons donc du milieu de la Manche.
Avant que le courant ne passe à l’ouest, je vire deux
heures vers l’est sur le bord favorable et nous recroisons le rail descendant. Avec
ce courant contraire, notre route fond tribord amure doit être catastrophique mais je
décide quand même de virer dans l’après-midi, car j’espère reconnaître le feu puissant
de Start Point à la tombée de la nuit.
Comme prévu, nous croisons d’abord deux ou trois cargos à
quelques milles de la côte anglaise avant d’apercevoir le phare de Start Point,
un peu sous le vent. Nous continuons jusqu’à proximité de la côte afin de
bénéficier au maximum du courant puissant d’ouest qui nous appuie.
Notre estime est recalée. Nous repartons bâbord amure vers
l’est. La nuit s’écoule lentement, du près, toujours du près.
A l’aube, j’hésite à privilégier le bord favorable vers le
nord par rapport au courant mais choisit finalement d’aller me recaler, cap à
l’est, jusqu’au rail descendant que nous devrions retrouver avant midi.
A midi, toujours rien en vue. Pourtant la visibilité est
acceptable. Je persiste vers l’est. En effet, ce serait bien la première fois
que je ne verrais pas de cargos sur le rail ! Bien m’en a pris, car, vers
15 h, au loin, nous apercevons un ferry de la ligne Cherbourg / Poole. Nous nous
situons donc quelques milles plus au nord que je ne le pensais. C’est une bonne
nouvelle et vers 17 h, nous virons pour ce qui devrait être notre dernier bord
vers l’ile de Wight.
Compte tenu de la visibilité devenu correcte, la suite
n’est qu’une formalité. Reconnaître le feu de Ste Catherine, abattre légèrement
vers les Needles, reconnaitre la bouée Fairway puis remonter le Solent en veillant
les bouées non éclairées. »
Ceci est le récit probable, écrit lors d’une matinée
neigeuse, étayé par des souvenirs de 33 années… Mais, curieusement, ma mémoire
souvent défaillante est étonnamment précise quand il s’agit de souvenirs de
navigation…
1975 Entre RIO et PORTSMOUTH:
Un autre exemple en 1975, joliment relaté par mon ami,
André Gentil, dans son excellent livre de mer, « Par les trois caps, t’es
pas cap » :
« Après
60 jours de mer, nous remontions de Rio de Janeiro vers Portsmouth, dernière
étape du Triangle atlantique. L’anticyclone nous avait joué des mauvais tours
et fait prendre du retard au point de nous rationner en eau et nourriture.
Nous entrâmes en Manche par une épaisse
brume. Le petit temps s’installa durablement. La brume durait depuis trois
jours et notre point astro vieillissait mal. La gonio reprit du service, les
instructions nautiques furent épluchées jusque dans les moindres détails. C’est de l’ouïe que vint la délivrance. Deux
sons de corne toutes les trente secondes. C’était bien elle.
Nous
étions à quelques milles de la pointe Ste Catherine au sud de l’île de Wight.
Le son de la corne était désormais sur notre arrière bâbord. Nous nous tenions
tous les sept sur le pont, silencieux, recueillis.
Des remous inquiétant firent monter la
tension d’un cran.
-On est dans la roche…Très
près de la côte.
-Chut. Taisez vous !
J’entends une voiture.
Debout au pied du mat,
Térénia murmura, incrédule :
-Regardez, des vaches.
-Où ça
-Là haut.
-Regardez là haut sur la
colline, entre les bouchons de brume.
-Elles volent ?
-Non, elles broutent. Oh,
nom de Dieu, des vaches !
Imaginez la scène, sept navigateurs hirsutes,
à faire peur, apercevant des vaches sur les flancs verdoyants de l’île de Wight
après cinquante-sept jours de mer ! »
A l’époque, le rôle du navigateur était primordial. La
navigation se faisait exclusivement à l’estime et c’était agir en bon marin
que, dans la boucaille, et même en course, on abatte pour reconnaître une bouée
ou une cote afin de conforter l’estime.
C’était un temps que les moins de 50 ans ne
peuvent pas connaître…
Ils ne jouiront jamais de la satisfaction qu’apportait la
découverte du point d’atterrissage espéré qui succédait à des heures de doute.
Le navigateur pouvait enfin se la jouer modeste alors qu’il distillait à
l’équipage depuis de heures, voire des jours, des positions dont il doutait…
On le constate, en dehors de la radio-gonio, aide toute
relative, aucun progrès n’avait été effectué depuis des centaines d’années. On
comprend mieux les centaines d’échouages de grands voiliers sur les cotes de
Bretagne et de Cornouailles.
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