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Une régate d’anthologie
Le 9 août 1979, l’avant-veille du départ du trop célèbre et meurtrier Fastnet, lors de la dernière régate de la Semaine de Cowes, le Royal Yacht Squadron a donné un départ dans des conditions rares.
Compte tenu de la dépression profonde qui passait sur le sud de l’Angleterre, seuls les « one tonner », « two tonner » et « maxi » étaient autorisés à naviguer. Sur la ligne se trouvait donc les classe 1 dont Condor -30 m - les admiralers du monde entier ( Néo-Zed, Australiens, Américains…) et une dizaine de « petits », les « one tonner « (11.5 à 13m).
Je courais sur Tapacenbal, un plan Berret en bois
moulé, voilier rapide dans la brise qui avait régnée toute la semaine et nous
courions pour la première place au classement général. Notre concurrent le plus
coriace était l’anglais Oystercatcher.
Fidèle à leur habitude, le Royal Yacht Squadron a donné le départ
au vent arrière vers l’est, à l’heure précise. Pourtant un nuage sombre
s’annonçait juste derrière nous venant des Needles,
dans l’ouest du Solent.
Au coup de canon devant Cowes, le vent était établi à 40 nœuds.
Cela « fumait ». Seuls, Bermudes,
Cider & Roses, Oystercatcher et nous même envoyons le spi tribord
amure, plein vent arrière, en route directe vers la première bouée : South Bramble. La plupart des autres
concurrents préféraient naviguer sous génois ou foc tangonné.
Equipage affuté, notre envoi
de spi se passe sans difficulté et Tapacenbal
déboule à une dizaine de nœuds vers la bouée. Le spi ne peut être plus
bridé. Pour ma part, je suis au bras de spi et il me suffit d’être attentif.
Tout le travail est pour le barreur, Lionel, hyper concentré. De temps à autre,
on sent un coup de gite sur tribord, à la contre-gite mais on s’habitue.
« Cela baigne » et, passé la première minute, nous sommes décontractés. Nous prenons le temps de « jeter un œil » derrière nous sur le roulis rythmique impressionnant des IOR classiques. Le Joubert Bermudes, skippé par Yves Pajot, nous précède ainsi qu’un anglais. C’est bien parti pour nous, car nous savons que nous « allons mieux qu’eux » au près. « Cela devrait le faire ».
Soudain, il ne reste plus
qu’un spi devant nous et, 20 secondes après, nous longeons Bermudes démâté. Nous nous réjouissons. Le départ a été donné il y
a moins de 5 minutes ! Le grain monte, violent, les barber ne peuvent être
plus souqués, le spi lourd orange plus bridé. Sans doute à une bonne quinzaine
de nœuds, sur un clapot court et une mer plate, Tapacenbal accélère sur un rail.
Nous sommes tendus et, chacun
intérieurement, pense que ce n’est pas vraiment raisonnable mais «cela le
fait ».
Cela « déboule fort »
et nous apercevons la bouée South Bramble,
devant nous à moins d’un mille. Soudain, Cider
& Rose, seul à nous précéder, pivote brutalement et se couche. Il n’a
plus de safran. A moins de 500
m de la première bouée, nous sommes en tête. Toutefois,
le courant nous a un peu dépalé dans le sud de la route mais Lionel, concentré,
nous maintient magistralement sur la panne avec une légère contre gite. Avec 50
nœuds de vent, il faut le faire.
Nous étions trop en
confiance. Brutalement, après deux ou trois alertes, notre Berret part à
l’abattée comme ces carènes savaient si bien le faire. La bôme empanne
violemment, se plaque sur la bastaque tribord reprise. C’est la guerre. Chacun
d’entre nous essaie de se coordonner avec les « collègues ». La
grand-voile claque violemment, le spi chalute sur tribord.
Pour ma part, étant au bras
de spi du tangon planté dans l’eau, dans un cockpit dont le plancher est quasi
vertical, j’essaie sans doute de choquer le bras alors que le winch tribord est
sous l’eau. Le plus urgent est de sauver le mat en « reprenant » la
bastaque bâbord et en choquant celle de tribord, sous l’eau, couché que nous
sommes à 80°. Le safran, en permanence sorti de l’eau est inopérant et nous
dérivons, couché sur notre tribord amure. Nous voyons clairement la grand voile
se découdre, les lattes glisser hors de leur gousset.
Une fois la bastaque choquée,
la drisse de spi est choquée, et tant bien que mal les équipiers avant, Loïc et
Alain, récupèrent le spi. Tapacenbal se
redresse et redevient manoeuvrant. Dans la foulée, François et Bébert affalent
la grand voile dont plusieurs laizes se décousent et nous renvoyons le foc 2.
C’est alors que nous nous apercevons que le pont en contreplaqué est arraché
sur 50 cm2 à bâbord et 30 cm2 à tribord au niveau des poulies de
barber-haulers ! Au niveau de la bastaque bâbord, le pont est aussi
arraché.
Nous continuons notre route
vers Portsmouth plein vent arrière, sous
foc seul, juste devant la flotte encore en course sous génois ou foc tangonné.
Surprise, avec notre petite voile d’avant, équipage décontracté, notre carène
planante va aussi vite qu’eux !
Toujours vent arrière vers
les Forts, nous croisons la flotte
des classe 1 de retour vers Cowes au
louvoyage. Condor, Gauloises 3, sous
3 ris et foc nous croisent. Bien calé dans le balcon arrière, avec mon appareil
photo, malgré la visibilité réduite et la pluie, je mitraille les voiliers qui passent à proximité.
Curieusement, nous sommes toujours en tête de notre classe !
Un admiraler, Casse tête V passe juste devant nous
bâbord amure et vire immédiatement. Je le photographie. Alors que son équipage
reborde son foc, il prend sa gite et, dans une rafale, sa tête de mat se glisse
entre notre pataras et notre mat ! Je prends la photo alors que nous nous
couchons et que notre mat se plie à hauteur de la première barre de flèche. Il
ne nous reste plus qu’à continuer notre route vers Gosport, sous le vent à quelques milles. Adieu le Fastnet. Nous ne connaissions pas encore
notre chance.
Nous saurons par la suite
que, dans la matinée, 54 noeuds de vent ont été enregistrés à la station météo
voisine et qu’un équipier a été tué par la bôme lors d’un empannage involontaire.
Pour la jeune classe, lors du
Fastnet 1979, 19 voiliers ont été
abandonnés et récupérés, 5 bateaux coulés après leur abandon par l’équipage et
il y a eu 15 morts, dont plusieurs dans leur canot de survie.
Notre
« agresseur » Casse tête
V, malgré sa taille, était du lot des nombreux voiliers qui ont
rencontré de sérieuses difficultés.
Nous sommes tendus et, chacun intérieurement, pense que ce n’est pas vraiment raisonnable mais «cela le fait ».
Tapacenbal en 2010
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