mardi 31 janvier 2017

A LA CAPE DANS LE GOLFE DE GASCOGNE EN SWAN 38















« En octobre 1975, sur le Swan 38 DELNIC, premier voilier de L.Rousselin, jeune navigateur débutant de 65 ans, dont la bible était la prose du Cdt de Kerviler, au large de La Corogne,  nous avons subit un coup de vent de sud qui nous a obligé à mettre à la cape durant 60 heures ! Durant ces trois longues journées et nuits, les changements de quarts s’effectuaient à la seconde près.

Parti quelques jours auparavant de St Malo, notre estime nous situait à hauteur du Cap Ortegal, que nous pensions avoir aperçu sur notre bâbord dans l’après-midi alors que nous faisions route au moteur dans la pétôle. Le baromêtre baisse depuis le matin. Dans la soirée, le vent est revenu de sud et nous avons renvoyé le génois (les enrouleurs n’existaient pas) et avons repris notre route au près bâbord amure.

 Le capitaine et son second, un bistrotier de St Malo qui a plus navigué au Bar de l’Univers qu’au large, à juste titre fatigués par nos cinq nuits de navigation précédentes, décident de mettre à la cape vers minuit alors que le vent n’est que de 25 à 30 nds et que, sous toilé,  sous foc 1, notre Stephens marche à 6 nœuds confortablement, en douceur, dans la mer pas encore formée. Compte tenu des nuages que l’on avait dans la soirée, il est évident qu’une dépression arrive.

Avec le recul, sans doute aurions nous du dérouter au largue, vers La Corogne à environ 60 milles dans l’est, mais notre objectif était Madère. Gardons à l’esprit aussi, que notre dernière position connue était le phare d’Ar Men à 300 milles dans le nord.

Mes deux compagnons  se sont couchés et nous avons continué notre roulement de quart de 4 heures ; trop longs à mon goût. De ce temps, il n’existait pas de capotes et l’exigence du service faisait que nous devions impérativement être de quart dans le cockpit, il était mal vu descendre se faire une chauffer une soupe. Il est vrai que nous nous situions à proximité du rail des cargos.

Au cours de la nuit, le vent monte, la mer se forme. A l’aube, les « vieux » réveillent le jeune de l’équipage, moi en l’occurrence, pour changer de foc. Dur, dur de sortir d’une couchette confortable dans une cabine douillette et plutôt silencieuse. Le plus pénible est d’enfiler le pantalon de ciré Equinoxe.

Dès la sortie de la descente (7 ou 8 marches, c’est le gros défaut du SWAN à mes yeux)  on prend conscience des réalités. L’aiguille de l’anémomêtre oscille entre 38 et 40 noeuds. Ils ont malheureusement raison, il va falloir affaler ce « foutu » foc et renvoyer le tourmentin

Récupérer le foc rétif, le ferler, sortir le tourmentin par le capot avant, l’endrailler, rentrer le foc en vrac dans le poste, faire les nœuds de chaise des écoutes, se battre avec le tourmentin, mouliner sur la drisse du pied de mat alors que ces conn... de l’arrière crient je ne sais quoi et tardent à border… Du classique.

On en  profite pour changer d’amure, et sommes maintenant tribord amure vers l’est. « On » est content de retourner se coucher…

A midi pile, c’est l’heure de notre traditionnel apéritif avant que notre restaurateur malouin nous mitonne un plat. Je soupçonne d’ailleurs Louis Rousselin de l’avoir embarqué pour cette unique qualité…

Aujourd’hui, la qualité baisse mais nous déjeunons tout de même de pâtes au gruyère, dans un bol, mais à table, assis sous le vent. Nous gardons notre rythme, le bateau est impeccablement rangé, les cirés à leur place…

Nous avons chacun notre verre personnel numéroté et il est hors de question de laisser trainer un ciré ou un livre. Une fois descendu dans les profondeurs du  carré nous oublions facilement la mer démontée et les 40 à 43 nœuds qui soufflent à l’extérieur…

Les changements de quart sont, comme le reste, d’une extrême rigueur. Cela donne :   « mon jeune ami, dans 12 secondes cela va être votre tour… « 

Amarinés comme nous le sommes, c’est à peine si nous nous rendons compte que nous sommes sur un voilier dans un coup de vent. C’est la première fois que je prends la cape et en suis surpris. C’est d’ailleurs le principal souvenir qui m’en restera.

De temps à autre, nous montons quelques marches de la descente pour vérifier la réalité. On a toujours l’impression que cela mollit ! Curieusement l’homme de quart nous dément toujours, et nous contrarie plutôt. « Cela va ? « ça » a mollit, on dirait ? Bof, c’est plutôt 40/42 depuis une heure… »

Les heures s’égrènent. Un peu de lecture, un café, dormir, une soupe…

Ce qui est gênant c’est qu’au cours de la journée, la mer créée par le vent de sud s’est formée et contrarie la houle résiduelle d’ouest que nous avions.

La deuxième nuit s’écoule au rythme de nos quarts. Au matin, alors que je finis mon quart, le cuisinier émergeant sa tête dans la descente décide que cela a mollit. Pour ma part, je vois toujours l’aiguille de l’anémomêtre osciller entre 40 et 45 noeuds. Le vent est toujours de secteur sud.

 Il convainc le capitaine de remettre en route ver la Corogne dans l’est.

Pour remettre en route, c’est simple, il suffit de choquer l’écoute au vent et de border celle sous le vent. Par contre le barreur est obligatoire et n’est pas à la fête… Nous faisons route au largue à 8 noeuds, travers au vent et aux vagues du vent mais avec la houle sur la hanche. Immédiatement , le barreur que je suis se rend compte que c’est une conn… et eux aussi.

Mais il est difficile de l’avouer !  Aussi, nous faisons route. A la barre, il est dur de maintenir le SWAN 38 sur son cap à cause de la houle résiduelle de trois quart arrière qui est contrariée par la mer du vent. A la barre, je prends fréquemment des  paquets de mer qui brisent sur la coque au vent mais le plus gênant pour moi qui ne suit  pourtant pas très grand, c’est le pataras qui heurte ma tête à chaque mouvement de tangage ! Cela ne se voit pas au salon nautique !

Après une dizaine de minutes, les » chefs » décident que le vent à forcit et nous reprenons la cape bâbord amure vers le large. Nous reprenons notre routine. Lecture, apéritif, déjeuner, café, dormir, quart…auxquels s’ajoutent des discussions dont le sujet principal est l’évolution de la météo.

Une troisième nuit commence. La mer est dure, croisée. Dans la nuit lors de mon quart, je croise un cargo en route vers le nord. Je réveille le « capitaine » pour l’informer que nous sommes sur la route des cargos, que le vent à mollit à 35 noeuds et qu’il faudrait mieux revirer vers l’est. Il me remercie et se rendort…  préférant attendre l’heure de son changement de quart !

Quand je me réveille dans la matinée, le bateau ballotte, moins appuyé par le vent. Le vent est en train de mollir sérieusement et, toujours à la cape, nous roulons dans une mer croisée. Cette fois, mes « collègues » ont eu la délicatesse d’attendre que je me réveille pour que je renvoie de la toile. Nous passons directement au génois 3 et renvoyons la grand voile entière ; c’est dire si le vent à baissé.

Il a aussi tourné vers l’ouest. Aussi, nous prenons un cap vers le sud-est afin d’aller reconnaître les côtes de Galice qui doivent se situer à quelques dizaines de milles.

Très vite, le vent tombe et nous oblige à faire route au moteur dans une mer formée très désagréable.  Le soleil revient, il fait chaud, la côte apparaît dans  l’après midi et à 21 h, nous sommes attablés devant une paëlla dans un restaurant du Ria de Corcubion au sud du cap Finistere… »











QUELLES LECONS TIRER DE CETTE EXPERIENCE ?

En préambule,  nous étions en 1975, ne disposions ni d’enrouleur, ni de pilote, ni de capote, ni de canot de survie, ni de VHF et notre dernière position connue était le phare d’Armen, trois jours auparavant, à 300 milles plus au nord.

Par ailleurs, l’état d’esprit de l’époque était différent. Nous partions de St Malo et nous rendions aux Canaries avec une escale à Madère. Nous savions que rencontrer du gros temps était probable et que le bateau pouvait l’encaisser sans broncher. Nous savions aussi que nous devions compter que sur nous même.

J’AI RETENU DE CETTE EXPERIENCE :

1 Le calme, la préparation, le rangement, le respect des horaires et des habitudes, sont importants.

2 Si nous étions en 2010, nous aurions connu la météo et anticipé en conséquence.
 Le GPS nous aurait donné notre position et nous aurions sans doute choisi de nous dérouter vers La Corogne avant que la dépression n’arrive, y compris en rentrant de nuit dans ce port inconnu grâce au traceur. (Ce qui pouvait être une erreur. En mer, le danger, c’est la côte)

3 Le SWAN 38 était un voilier de luxe pour l’époque. D’un déplacement semi-lourd avec un comportement à la mer remarquable, jamais il n’a tapé. A l’intérieur, il y avait un silence relatif, des mains courantes bien positionnées, des couchettes parfaitement calées.

4 Certains d’entre vous me jugent surement extrêmes dans mes positions par rapport à des voiliers actuels. Il s’avère que j’ai vécu par la suite une expérience du même type sur un OCEANIS 44, dans les mêmes parages, avec peu de mer et des vents ne dépassant pas 27 nœuds. Et la différence est énorme.

 CE QUE JE N’AI PAS RETENU :
1 Les quarts de 4 heures.
2 Les changements de quarts à la seconde…
3 De ne pas lire quand l’on est de quart par beau temps.
4 Le vouvoiement des équipiers. 

Cela dit, 20 ans plus tard, à 85 ans et plus, Monsieur Rousselin était toujours présent sur son SWAN en régate à La Trinité.














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