mardi 31 janvier 2017

96 h par FORCE 10 en COGNAC

A chacun son Cap Horn…     
      
L’ABER WRACH – CAMARET : 96 heures






Saint Malo -  Septembre 2006

Quelques temps auparavant, j’ai subi une opération importante qui m’empêchait de naviguer depuis de trop nombreuses années.

L’envie est donc forte de partir vers l’ouest, histoire de vérifier que les cailloux de Bretagne Nord n’ont pas « bougés » depuis 40 ans.

Je quitte donc St Malo en solitaire, le 13 septembre 2006 en direction de Camaret sur un Cognac, dans son « jus », prêté par l’un de mes amis.

Après des escales « classiques » à Bréhat, Lézardrieux, Perros-Guirec, Batz puis l’Aber-Wrach, je décide de rendre visite à un vieux copain qui habite près de l’Aber-Ildut. Une étape classique de croisière côtière dans le secteur de sinistre mémoire où s’est échoué l’Amoco Cadiz.

L’équipement de Rondine, mon Cognac, n°21 de la série, est celui de 1968 : voiles d’origine, lampe à pétrole et moteur hors bord. Seules modernités, je dispose d’un GPS portable et d’un pilote automatique.


C’est ainsi que le 20 septembre, vers 10h 30 je largue ma bouée dans l’aber par un vent faible de sud-est. Le plafond nuageux est bas, gris, comme souvent dans ces parages.



A l’approche du Libenter, le courant étant toujours contraire, je démarre même le hors-bord durant une heure ou deux. L’après-midi s’écoule paisiblement, en route vers la grande basse de Portsall. Le courant devient enfin favorable, la visibilité reste médiocre, le vent toujours faible de sud /sud-est. Cette direction m’oblige à tirer un bord vers le sud-ouest, bien aidé, toutefois, par le courant. En fin d’après-midi, je vire de bord vers le phare du Four, proche de l’entrée de l’Aber-Ildut.





Il est prés de 20 h quand je me présente aux abords de l’aber, la nuit est là. Verts, rouges, fixes ou scintillants, les bouées et les phares du chenal du Four ne manquent pas. Les feux de la côte des « naufrageurs » sont nombreux. Trop nombreux à mon goût. Au milieu de toutes ces lumières, je n’arrive pas à trouver le feu à secteur directionnel de l’entrée de l’aber.  Le GPS m’indique bien ma position, mais reporter la position à la lampe de poche n’est pas simple et les cailloux sont proches.

Il me semble plus raisonnable d’attendre le jour pour rentrer dans la rivière. Je décide donc de capeyer dans l’ouest de l’aber. Grand-voile ferlée, sous foc seul, le courant poussant vers le sud, le pilote n’a pas de difficulté à maintenir Rondine sur un cap au sud-ouest en direction du plateau de la Helle. Toutes les deux heures, j’empanne pour rester dans cette zone. Vers minuit, le vent fraîchit sérieusement, force 5 probablement. Le clapot rend  la situation inconfortable. Rappelons que le Cognac ne fait que 7.30 m. Dans la nuit, la situation devient sérieuse. J’ai du mal à estimer correctement la force du vent. Je ne sais que trop bien que, la nuit tout parait surdimensionné, mais, une certitude, cela souffle fort

A l’aube, j’aperçois une tourelle. J’ai des difficultés à l’identifier du fait que je ne trouve plus mes lunettes. Et puis, autant l’avouer, je suis un peu somnolent.

Cela m’apparaît évident, le vent est établi à 35/40 nœuds de sud-est. Je n’ai aucune visibilité et me demande si je ne me situe pas plus au nord, dans l’est d’Ouessant. Malgré mes recherches, il m’est impossible de mettre la main sur mes lunettes, sans lesquelles je ne peux lire depuis une dizaine d’années. En fuite, afin d’économiser la batterie du pilote, je barre entre 90° et 110° du vent, à 5/6nds. Cela m’amuse de penser que, si cela dure un peu, je serais en Irlande dans 2 jours! La mer reste maniable. Le fetch n’est que de 2 m à 2.5m. Ce qui m’inquiète, c’est que le vent semble continuer à fraîchir.

Mais, en début d’après midi, à la renverse, vent contre-courant, la mer devient mauvaise, hachée et déferlante. Par deux fois, des vagues vicieuses remplissent partiellement le cockpit. C’est totalement inhabituel. Je me vois mal continuer à barrer dans ces conditions.

Pourtant correctement amarrée, la bouée fer à cheval s’envole. C’est le déclic : « Basta, cela commence à bien faire ». Je me décide à affaler le foc 1. 

Puis, je passe à la seconde punition: envoyer le tourmentin. Tant bien que mal, je vais chercher "en bas"cette voile confectionnée à la Voilerie Richard de St Servan, il y a une bonne trentaine d'années. Je traine son sac sur le pont tant bien que mal puis, un à un, je frappe les mousquetons en me cramponnant.


Autant l’avouer, il y a bien longtemps que je ne m’étais livré à de telles acrobaties sur un aussi petit bateau. Et dire qu’il n’y a pas si longtemps je passais de longues journées sur un lit d’hôpital ! Je ne connaissais pas mon bonheur!


La voile souquée, bien étarquées, l'écoute au vent bordée, avec la barre sous le vent, Rondine réagit bien, presque confortablement.

J’estime me situer dans le nord-ouest d’Ouessant, et empanne. Rondine obtempère sans aucune difficulté. Vers 16 h, le bas-hauban bâbord, sous le vent,  flotte dangereusement. Je suis obligé d’aller le reprendre avant qu’il ne se dévisse totalement. Un vrai plaisir !  Heureusement, j’ai de l’eau à courir avant d’atteindre les côtes anglaises, dans mon nord. La chaise du moteur hors-bord donne des signes de fatigue, mais je me vois mal rentrer ce moteur. Je le saisi solidement.

Le foc ferlé serré, la barre amarrée légèrement sous le vent, le bateau tient une route correcte vers le nord-est en cape courante entre 90 et 120° du vent. C’est presque confortable, j’en suis surpris. A une vitesse de 3 à 4 noeuds, Rondine embarde en gardant une gîte de 30 à 60°, somme toute, acceptable. 

Avec régularité, après un choc de la vague sur son flanc tribord, plus ou moins violent, il glisse sur son bouchain sur la crête en gîtant et abattant légèrement avant de subir la vague suivante. Après quelques minutes d’inquiétude, je me suis habitué à ses mouvements. Il faut préciser que ce bateau possède un aileron important devant le safran. 

Les embruns volent à l’horizontal, les haubans sifflent. Je commence à penser que le vent est plus prés de 50 noeuds que de 40, peut-être même plus. Ce qui me soucie, c’est que le suet peut durer plusieurs jours.

Je me félicite de ne pas être équipé de l’enrouleur qui équipe la majorité des croiseurs modernes car j’imagine le fardage et les coups de gîte qu’il entraînerait!

Dans la soirée, je suis manifestement sur le rail montant,  dans le nord d’Ouessant car, dans l’après midi, une dizaine de cargos, porte-containers et autres chimiquiers me croisent, le nez dans la plume. Plusieurs mastodontes aussi, chargés de containers. Dans la boucaille, la visibilité reste faible et j’ai conscience d’avoir eu une certaine chance mais aucun ne me frôle. Je m’astreins à une veille régulière, à l’abri de la capote bienvenue, mais il m’est impossible de regarder au vent tant les embruns me mitraillent !

La mer a grossi. Les vagues font sans doute 3 m, difficile de le dire. En tout cas, leurs crêtes volent à l’horizontale. De temps à autre, un choc violent frappe le bordé au vent. Les vibrations des haubans, le hurlement du vent sont insupportables. Je ne veux pas imaginer que le vent dépasse sûrement 50 noeuds, pourtant les crêtes des vagues sont arrachées, les embruns volent en permanence à l’horizontal. Dans les surventes, le sifflement est incroyable, lancinant.

Habitué aux embardées de mon brave Rondine, j’alterne les périodes de demi-sommeil et de veille, histoire de me donner bonne conscience. Mais je n’aperçois plus aucune lumière lors de mes tours d’horizon nocturne…

Au petit matin, je retrouve par hasard mes lunettes dans les fonds. Je peux de nouveau lire mon GPS qui m’indique : 49°25 N 4°29 W. Parti pour du cabotage côtier, je ne dispose plus de cartes pour reporter ma position. Par rapprochement des points indiqués sur  l’Almanach du Marin Breton, je me situe à la hauteur de Guernesey et de la pointe de Pontusval. 

Avant d’atteindre les côtes anglaises du côté de Start Point à 55 milles, j’empanne et mon Cognac obtempère docilement. Mon nouveau cap me dirige vers l’Amérique… Depuis la fin de nuit, je ne vois plus de feux. Tout en restant fort, le vent a faiblit. Il n’y a plus ces surventes qui couchent le bateau pendant de longues minutes.

Je commence à restreindre ma consommation d’eau car il ne me reste en tout et pour tout qu’une bouteille de 1.5 l. De temps à autre, j’éponge quelques litres d’eau dans les fonds, provenant d’embruns et de pluie projetés régulièrement par le haut du panneau de descente. Mais dans l’ensemble, mes habitudes de vieux célibataire font que tout à bord est en ordre, correctement saisi.

Evidemment, je reste en permanence habillé en ciré complet et mon âge certain  se contente de peu de sommeil… Coté nourriture, j’arrive à me cuisiner des oeufs sur le plat. La journée est rythmée par les cafés et les soupes dont je ne manque pas.  L’avantage d’un petit bateau est que tout reste à portée de mains…

Les heures s’écoulent régulièrement, bien calé sur la couchette sous le vent et, entre un café et une soupe, une certaine routine s’installe. La lecture des maximes d’un vieil Almanach abandonné dans un équipet me rappelle qu’ « il vaut mieux avoir un troisième enfant qu’un congélateur neuf… ». De temps à autre, je pousse une gueulante, cela soulage.

Dans la soirée, j’aperçois trois trombes à l’horizon simultanément, ce que les journalistes appellent improprement mini-tornades! Je n’en avais jamais vu !

Une nouvelle nuit s’écoule, j’ai pris mes marques mais le sifflement du vent dans les haubans est toujours aussi insoutenable. Il me semble que le vent tourne légèrement vers l’est. Je m’assoupis quelques heures, et au réveil, surprise ! A l’aube du 23, tout est calme, c’est terminé. 

Tout cela est relatif, mais le vent a sérieusement mollit, il n’y a sans doute plus que 25 à 30 nœuds d’est. Que du bonheur ! Le GPS m’indique la position : 48°56 N 7°58 W.  Je constaterais après coup que je me situais à  110 milles  dans le nord-ouest d’Ouessant, à 75 milles des Scilly et 135 milles de Camaret.

Dans l’après midi, bien que la mer soit encore formée, le vent ayant progressivement tourné vers le nord et faiblit, je reprend ma route vers l’est en renvoyant la grand-voile avec un ris et le foc 1. Rondine, sous-toilé, plante des pieux, mais cela permet au bonhomme de récupérer. Grâce aux quelques ampères économisées, le pilote fonctionne honorablement durant toute la nuit. Progressivement, la mer se calme. Ce bord vers l’est me parait interminable.

En fin de nuit, je croise de nouveau les cargos. C’est bon signe. Dans la matinée, le vent mollit à force 2 à 3 de nord! Le GPS me situe à 48°35 N 5°07 W soit 7 milles dans le nord-ouest d’Ouessant. L’horizon est toujours bouché.







Dans le courant de la matinée, la visibilité se dégage, j’aperçois Ouessant dans l’est puis, deux heures plus tard, la pointe St Mathieu. La journée du 24 s’écoule paisiblement en mer d’Iroise dans un vent faible de secteur nord et une mer résiduelle. Durant l’après-midi, je longe les Tas de Pois sous le soleil avant d’arrondir la jetée de Camaret  à 18 h, en tee-shirt.  

Rondine a effectué les 35 milles de l’Aber Wrach à Camaret en 96 heures mais aussi plus de 350 milles sur le fond !




Je m’empresse de téléphoner à mon PC à St Malo. Mon ami Patrice est soulagé, c’est un euphémisme, de m’entendre. Marin expérimenté, n’ayant pas de nouvelles de ma part depuis 4 jours,  mes copains et lui étaient à deux doigts de déclencher les secours. Heureusement, le vent à St Malo était beaucoup plus faible et ils n’ont pas imaginés les conditions réelles que je subissais.

En consultant ultérieurement les relevés météo, j’ai découvert que METEO CONSULT prévoyait sur Manche Ouest : Vent force 8 à 10 de sud-est- 50 à 55 nds - 70 nds sous grains 
Et que la bouée des Scilly à quelques dizaines de milles a enregistré le 21 septembre à 17 h : un « vent moyen de 48 noeuds  et des pointes à 70 nds. »

Si c’était à refaire :
-      J’aurais étudié de prés le passage à terre plus court entre l’Aber-Wrach et l’Aber-Ildut.
-      J’aurais écouté plus attentivement la météo.
-      J’apprendrais à mieux utiliser le GPS portable.
-      Et surtout :
-      J’emporterais une carte « routière ».
-      J’emmènerais une deuxième paire de lunettes


Philippe MOUTON dit localement « Vito Dumas »


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire