dimanche 8 février 2015

Une régate d’anthologie

Une régate d’anthologie




Le 9 août 1979, l’avant-veille du départ du trop célèbre et meurtrier Fastnet, lors de la dernière régate de la Semaine de Cowes,  le Royal Yacht Squadron a donné un départ dans des conditions rares. Compte tenu de la dépression profonde qui passait sur le sud de l’Angleterre, seuls les « one tonner », « two tonner » et « maxi » étaient autorisés à naviguer. Sur la ligne se trouvait donc les classe 1 dont Condor -30 m - les admiralers du monde entier ( Néo-Zed, Australiens, Américains…) et une dizaine de « petits », les «  one tonner « (11.5 à 13m).

Je courais sur Tapacenbal, un plan Berret en bois moulé, voilier rapide dans la brise qui avait régnée toute la semaine et nous courions pour la première place au classement général. Notre concurrent le plus coriace était l’anglais Oystercatcher.

Fidèle à leur habitude, le Royal Yacht Squadron a donné le départ au vent arrière vers l’est, à l’heure précise. Pourtant un nuage sombre s’annonçait juste derrière nous venant des Needles, dans l’ouest du Solent.


Au coup de canon devant Cowes, le vent était établi à 40 nœuds. Cela « fumait ». Seuls, Bermudes, Cider & Roses, Oystercatcher et nous même envoyons le spi tribord amure, plein vent arrière, en route directe vers la première bouée : South Bramble. La plupart des autres concurrents préféraient naviguer sous génois ou foc tangonné.


Equipage affuté, notre envoi de spi se passe sans difficulté et Tapacenbal déboule à une dizaine de nœuds vers la bouée. Le spi ne peut être plus bridé. Pour ma part, je suis au bras de spi et il me suffit d’être attentif. Tout le travail est pour le barreur, Lionel, hyper concentré. De temps à autre, on sent un coup de gite sur tribord, à la contre-gite mais on s’habitue.

« Cela baigne » et, passé la première minute, nous sommes décontractés. Nous prenons le temps de « jeter un œil » derrière nous sur le roulis rythmique impressionnant des IOR classiques. Le Joubert Bermudes, skippé par Yves Pajot, nous précède ainsi qu’un anglais. C’est bien parti pour nous, car nous savons que nous « allons mieux qu’eux » au près.  « Cela devrait le faire ».


Soudain, il ne reste plus qu’un spi devant nous et, 20 secondes après, nous longeons Bermudes démâté. Nous nous réjouissons. Le départ a été donné il y a moins de 5 minutes ! Le grain monte, violent, les barber ne peuvent être plus souqués, le spi lourd orange plus bridé. A une bonne quinzaine de nœuds, et peut être plus,  sur un clapot court et une mer plate, Tapacenbal accélère sur un rail. Nous sommes tendus et, chacun intérieurement, pense que ce n’est pas vraiment raisonnable mais «cela le fait ».

Cela « déboule fort » et nous apercevons la bouée South Bramble, devant nous à moins d’un mille. Soudain, Cider & Rose, seul à nous précéder, pivote brutalement et se couche. Il n’a plus de safran. A moins de 500 m de la première bouée, nous sommes en tête. Toutefois, le courant nous a un peu dépalé dans le sud de la route mais Lionel, concentré, nous maintient magistralement sur la panne avec une légère contre gite. Avec 50 nœuds de vent, il faut le faire.

Nous étions trop en confiance. Brutalement, après deux ou trois alertes, notre Berret part à l’abattée comme ces carènes savaient si bien le faire. La bôme empanne violemment, se plaque sur la bastaque tribord reprise. C’est la guerre. Chacun d’entre nous essaie de se coordonner avec les « collègues ». La grand-voile claque violemment, le spi chalute sur tribord.

Pour ma part, étant au bras de spi du tangon planté dans l’eau, dans un cockpit dont le plancher est quasi vertical, j’essaie sans doute de choquer le bras alors que le winch tribord est sous l’eau.

Le plus urgent est de sauver le mat en « reprenant » la bastaque bâbord et en choquant celle de tribord, sous l’eau, couché que nous sommes à 80°. Le safran, en permanence sorti de l’eau est inopérant et nous dérivons, couché sur notre tribord amure. Nous voyons clairement la grand voile se découdre, les lattes glisser hors de leur gousset.

Une fois la bastaque larguée, la drisse de spi est choquée, et tant bien que mal, sur un pont quasiment vertical, les équipiers avant, Loïc et Alain, récupèrent le spi. Tapacenbal se redresse et redevient manoeuvrant. Dans la foulée, François et Bébert affalent la grand voile dont plusieurs laizes se décousent. Toutes ces manœuvres se passent plutôt bien dans un boucan d’enfer.

Nous reprenons notre route vent arrière puis renvoyons le foc 2. C’est alors que nous nous apercevons que le pont en contreplaqué est arraché sur 50 cm2 à bâbord et 30 cm2 à tribord au niveau des poulies de barber-haulers ! Au niveau de la bastaque bâbord, le pont est aussi arraché.


En route vers Portsmouth  plein vent arrière, sous foc seul, nous sommes encore en tête juste devant la flotte encore en course sous génois ou foc tangonné. Avec notre petite voile d’avant, équipage décontracté, notre carène planante va aussi vite qu’eux !

Toujours vent arrière vers les Forts, nous croisons la flotte des classe 1 de retour vers Cowes au louvoyage. Condor, Gauloises 3, sous trois ris et foc nous croisent. Bien calé dans le balcon arrière, avec mon appareil photo, malgré la visibilité réduite et la pluie,  je mitraille les voiliers qui passent à proximité. Curieusement, nous sommes toujours en tête de notre classe !

Un admiraler, Casse tête V croisee juste devant nous bâbord amure et vire immédiatement. Je le photographie. Alors que son équipage reborde son foc, il prend sa gite et, dans une rafale, sa tête de mat se glisse entre notre pataras et notre mat ! Je prends la photo alors que nous nous couchons et que notre mat se plie à hauteur de la première barre de flèche. Il ne nous reste plus qu’à continuer notre route vers Gosport, sous le vent à quelques milles. Adieu le Fastnet. Nous ne connaissions pas encore notre chance.

Nous saurons par la suite que, dans la matinée, 54 noeuds de vent ont été enregistrés à la station météo voisine et qu’un équipier a été tué par la bôme lors d’un empannage involontaire.







Pour la jeune classe, lors du Fastnet 1979, 19 voiliers ont été abandonnés et récupérés, 5 bateaux coulés après leur abandon par l’équipage et il y a eu 15 morts, dont plusieurs dans leur canot de survie. Notre « agresseur » Casse tête V,  malgré sa taille,  était du lot des nombreux voiliers qui ont rencontré de sérieuses difficultés. 











mardi 3 février 2015

1979 TAPACENBAL; une régate d'anthologie

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Une régate d’anthologie 


Le 9 août 1979, l’avant-veille du départ du trop célèbre et meurtrier Fastnet, lors de la dernière régate de la Semaine de Cowes,  le Royal Yacht Squadron a donné un départ dans des conditions rares. 

Compte tenu de la dépression profonde qui passait sur le sud de l’Angleterre, seuls les « one tonner », « two tonner » et « maxi » étaient autorisés à naviguer. Sur la ligne se trouvait donc les classe 1 dont Condor -30 m - les admiralers du monde entier ( Néo-Zed, Australiens, Américains…) et une dizaine de « petits », les «  one tonner « (11.5 à 13m).








 Je courais sur Tapacenbal, un plan Berret en bois moulé, voilier rapide dans la brise qui avait régnée toute la semaine et nous courions pour la première place au classement général. Notre concurrent le plus coriace était l’anglais Oystercatcher. 

Fidèle à leur habitude, le Royal Yacht Squadron a donné le départ au vent arrière vers l’est, à l’heure précise. Pourtant un nuage sombre s’annonçait juste derrière nous venant des Needles, dans l’ouest du Solent. 

Au coup de canon devant Cowes, le vent était établi à 40 nœuds. Cela « fumait ». Seuls, Bermudes, Cider & Roses, Oystercatcher et nous même envoyons le spi tribord amure, plein vent arrière, en route directe vers la première bouée : South Bramble. La plupart des autres concurrents préféraient naviguer sous génois ou foc tangonné.

 Equipage affuté, notre envoi de spi se passe sans difficulté et Tapacenbal déboule à une dizaine de nœuds vers la bouée. Le spi ne peut être plus bridé. Pour ma part, je suis au bras de spi et il me suffit d’être attentif. Tout le travail est pour le barreur, Lionel, hyper concentré. De temps à autre, on sent un coup de gite sur tribord, à la contre-gite mais on s’habitue.

 « Cela baigne » et, passé la première minute, nous sommes décontractés. Nous prenons le temps de « jeter un œil » derrière nous sur le roulis rythmique impressionnant des IOR classiques. Le Joubert Bermudes, skippé par Yves Pajot, nous précède ainsi qu’un anglais. C’est bien parti pour nous, car nous savons que nous « allons mieux qu’eux » au près.  « Cela devrait le faire ».

Soudain, il ne reste plus qu’un spi devant nous et, 20 secondes après, nous longeons Bermudes démâté. Nous nous réjouissons. Le départ a été donné il y a moins de 5 minutes ! Le grain monte, violent, les barber ne peuvent être plus souqués, le spi lourd orange plus bridé. Sans doute à une bonne quinzaine de nœuds, sur un clapot court et une mer plate, Tapacenbal accélère sur un rail.

Nous sommes tendus et, chacun intérieurement, pense que ce n’est pas vraiment raisonnable mais «cela le fait ».


 Cela « déboule fort » et nous apercevons la bouée South Bramble, devant nous à moins d’un mille. Soudain, Cider & Rose, seul à nous précéder, pivote brutalement et se couche. Il n’a plus de safran. A moins de 500 m de la première bouée, nous sommes en tête. Toutefois, le courant nous a un peu dépalé dans le sud de la route mais Lionel, concentré, nous maintient magistralement sur la panne avec une légère contre gite. Avec 50 nœuds de vent, il faut le faire.

 Nous étions trop en confiance. Brutalement, après deux ou trois alertes, notre Berret part à l’abattée comme ces carènes savaient si bien le faire. La bôme empanne violemment, se plaque sur la bastaque tribord reprise. C’est la guerre. Chacun d’entre nous essaie de se coordonner avec les « collègues ». La grand-voile claque violemment, le spi chalute sur tribord.

 Pour ma part, étant au bras de spi du tangon planté dans l’eau, dans un cockpit dont le plancher est quasi vertical, j’essaie sans doute de choquer le bras alors que le winch tribord est sous l’eau. Le plus urgent est de sauver le mat en « reprenant » la bastaque bâbord et en choquant celle de tribord, sous l’eau, couché que nous sommes à 80°. Le safran, en permanence sorti de l’eau est inopérant et nous dérivons, couché sur notre tribord amure. Nous voyons clairement la grand voile se découdre, les lattes glisser hors de leur gousset.

 Une fois la bastaque choquée, la drisse de spi est choquée, et tant bien que mal les équipiers avant, Loïc et Alain, récupèrent le spi. Tapacenbal se redresse et redevient manoeuvrant. Dans la foulée, François et Bébert affalent la grand voile dont plusieurs laizes se décousent et nous renvoyons le foc 2. C’est alors que nous nous apercevons que le pont en contreplaqué est arraché sur 50 cm2 à bâbord et 30 cm2 à tribord au niveau des poulies de barber-haulers ! Au niveau de la bastaque bâbord, le pont est aussi arraché.

 Nous continuons notre route vers Portsmouth  plein vent arrière, sous foc seul, juste devant la flotte encore en course sous génois ou foc tangonné. Surprise, avec notre petite voile d’avant, équipage décontracté, notre carène planante va aussi vite qu’eux !

 Toujours vent arrière vers les Forts, nous croisons la flotte des classe 1 de retour vers Cowes au louvoyage. Condor, Gauloises 3, sous 3 ris et foc nous croisent. Bien calé dans le balcon arrière, avec mon appareil photo, malgré la visibilité réduite et la pluie,  je mitraille les voiliers qui passent à proximité. Curieusement, nous sommes toujours en tête de notre classe !

 Un admiraler, Casse tête V passe juste devant nous bâbord amure et vire immédiatement. Je le photographie. Alors que son équipage reborde son foc, il prend sa gite et, dans une rafale, sa tête de mat se glisse entre notre pataras et notre mat ! Je prends la photo alors que nous nous couchons et que notre mat se plie à hauteur de la première barre de flèche. Il ne nous reste plus qu’à continuer notre route vers Gosport, sous le vent à quelques milles. Adieu le Fastnet. Nous ne connaissions pas encore notre chance.



 Nous saurons par la suite que, dans la matinée, 54 noeuds de vent ont été enregistrés à la station météo voisine et qu’un équipier a été tué par la bôme lors d’un empannage involontaire.

 Pour la jeune classe, lors du Fastnet 1979, 19 voiliers ont été abandonnés et récupérés, 5 bateaux coulés après leur abandon par l’équipage et il y a eu 15 morts, dont plusieurs dans leur canot de survie. 

Notre « agresseur » Casse tête V,  malgré sa taille,  était du lot des nombreux voiliers qui ont rencontré de sérieuses difficultés. 
























Tapacenbal en 2010

dimanche 1 février 2015

VOILE MAGAZINE : navigation numérique ou navigation papier ?






VOILE MAGAZINE


En régate, navigation numérique 
ou navigation papier ?

"on n’entre jamais autant dans le détail qu’avec les petits casiers que les

 pêcheurs ont gentiment mouillés à notre attention tous les 50 mètres."














« Sur le Sun Odyssey 40 « Karibario –Kunkel  Palettes », le bateau de Jan Legallet, on n’hésite pas à multiplier les sources. 

Interrogé sur le sujet, le navigateur, Daniel Bonnefoy, prend un air pensif et commence à fouiller dans sa bibliothèque. Il en sort un tas d’ouvrages qui s’accumulent sur la table à carte jusqu‘à la recouvrir entièrement. Il y a là les atlas de courant du SHOM bien sûr, mais ce n’est pas tout.


 Daniel utilise aussi les atlas de l’Amirauté britannique (ceux du UKHO), les « courants de marées » d’Alain Maupas, ouvrage édité autrefois par les Editions Maritimes et d’Outre-mer, sans oublier une antique publication du SHOM intitulée « Courants de marées ». Le livre date de 1968, il a beaucoup, beaucoup, navigué c’est à peine si ses pages tiennent encore ensemble. A bord, on le surnomme « le vieux grimoire ».


Avec autant de littérature à sa disposition, Daniel occupe t-il ses soirées, la veille de la régate, à étudier tous ces ouvrages et à élaborer une stratégie sophistiquée incluant des coups à quatre bandes, au lieu de traîner sur les quais de bistrot en bistrot ?  Pas vraiment, il s’y met plutôt le matin du départ… 

Jan Legallet, le skipper, affiche un air désapprobateur quoique bienveillant : »je préfèrerais que ce soit fait avant, admet il, mais bon, je ne dis rien ». 


L’un des grands enseignements de cette petite enquête est qu’on peut certes, se procurer des données très précises, que ce soit sous forme imprimée ou numérique mais on n’entre jamais autant dans le détail qu’avec les petits casiers que les pêcheurs ont gentiment mouillés à notre attention tous les 50 mètres.

De même, chaque bouée, latérale ou cardinale, chaque tourelle, chaque bout de caillou qui dépasse est un indicateur idéal, même si, dans certains cas, on ne peut s’en approcher trop. 


N’empêche, tous les livres de Daniel sont remplis de Post-it… et, cette année (2013) , le Sun Odyssey 40 « Karibario – Kunkel  Palettes », a pris la 4ième place (dans son groupe) du Tour des Ports de la Manche avant de finir 2ième du Tour du Finistère 

(NDLR: en 2014, 1 ier duTour des Ports de la Manche, 1 ier au Trophée TRESCO,  2ième du Tour du Finistère.  »



 En faisant ainsi la tournée des pontons, nous voulions répondre à une double question : quelles sont les meilleures sources disponibles ? Plutôt numérique ou plutôt papier ? 


  Sébastien Mainguet - Voile Magazine - Novembre 2013







Bosco17
Euh, surtout ceux qui ont des dizaines de milliers d'heures en régate 
20 heures par semaine, 50 semaines par an, cela fait au moins 20 ans CONTINUS...
(déjà, faut trouver de quoi faire des régates TOUTES les semaines... Après, faut qu'elles vous occupent 20 heures toutes les semaines... Et enfin, faut faire ça pendant 20 ans...



viking35
Bosco: je me sens légèrement visé...Tu ne m'en voudras pas de n'avoir pas comptabilisé les heures et les milles précisément depuis la quarantaine d'année que je régate régulièrement...
Sache toutefois que la plus longue course auquel j'ai participé comptabilise à elle seule autour de 4500 h, que j'ai navigué à ce jour sur 227 voiliers, que depuis que je les comptabilise j'ai effectué en moyenne chaque année 2000 milles de régate sans compter les convoyages.
Alors des dizaines est surement excessif mais 20 à 30 000 heures en course, 30 à 50 000 milles ne me semble pas exagéré... et, pour revenir au sujet, j'ai vécu seulement quatre départs à l'abattée et aucun alors que j'étais à la barre. 




dekers
Pour ceux qui taquinnent Viking35, je l'ai cotoyé sur l'eau et aux ptits malins qui veulent aller tirer qq bords contre lui, c'est tout à fait sympa, mais vous enflammez pas trop, il est extrêmement malin sur un plan d'eau en tactique et de plus il jouit d'une expérience bien plus conséquente que nous.
Dernier point, dans les propos de Viking35, il n'apparait jamais de surenchère, d'exagération ou autre....ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Il est plutôt précis et relate des faits et non des faits X 120%...
Pour info, je ne l'ai croisé que 2 ou 3 fois sur un Tourduf, donc c'est pas un pote avec qui je régate, mais je pense qu'on peut le respecter sur un plan d'eau comme sur ces posts... un peu "perfectionniste" des fois...