Au printemps 1974, je courais
sur un Contessa 35 flush deck. Le
voilier qui avait gagné la One Ton Cup l’année précédente. Bref, le
meilleur voilier du monde dans sa catégorie.
Devant courir la Semaine de La Rochelle , son propriétaire, Monsieur B.... des Varannes avait engagé un skipper reconnu de l’époque, Jean- Michel Carpentier, payé, ce qui était extrêmement
rare à l’époque.
Semaine de la Rochelle 1974
Reconnaissez vous le svelte n° 1 ?
La course La
Trinité / La Rochelle était une
course de ralliement de 100 milles qui avait la particularité de partir à 20 h.
C’était donc une course de nuit et, cette année là, le vent de nord-ouest était
dans l’axe de la route.
Plein vent arrière, avec une
vingtaine de nœuds, sous spi et big-boy, ce type de carène (architecte: Peterson) nécessitait à l’équipage au
complet une attention sans faille pour ne pas partir « au tas ».
Le roulis rythmique était la
règle et nous commencions à nous inquiéter quand la bôme touchait l’eau puis
quand, sur l’autre bord, le tangon s’en approchait. Quand après trois
balancements, le mouvement ne se résorbait pas, c’était mauvais signe… Pour les
profanes, le big-boy mesurait 50 % de la surface du spi et avait pour avantage
principal, celui de stabiliser le roulis.
Le barreur n’était pas à la
fête et ne pouvait se déconcentrer. Pour des raisons tactiques, notre barreur
et aussi skipper, seul capable de barrer longtemps dans ces conditions, avait
décidé d’empanner toutes les heures pour rester sur la route directe.
C’est facile à dire et à
écrire mais irréaliste avec un équipage jeune et découvrant le bateau, de nuit,
sur un bateau disposant de 2 cockpits, qui ne comportaient pas moins de 14
winches. A l’époque, il n’existait pas de bloqueur et chaque manœuvre (hale
bas, balancine, bras, écoute de spi, écoute de génois…) revenait sur un winch
qui lui était propre. De plus, l’empannage à un tangon imposait un bras et une
écoute sur chaque bord et donc une coordination sans faille lors du passage du
tangon sous l’étai. Moment délicat ou le spi était livré à lui même.
Bien entendu, l'éclairage
était inexistant et je vous laisse le soin d'imaginer le "sac de
nouilles" dans les cockpits de « bouts » de la même couleur
passant par 14 winches!
Chaque heure, l’empannage,
nécessitait d’affaler le big-boy, d’empanner le spi, puis de renvoyer le
big-boy sur l’autre amure. Dès le premier empannage, qui ne s’était pas bien
passé, c’est un euphémisme, en tant que « vieux » de l’équipage, 22
ans, j’étais intervenu pour suggérer au skipper, J.M.Carpentier que ce serait surement plus efficace de limiter les
empannages et qu’il nous explique un peu, plutôt que de hurler à la barre.
Peine perdu, nous n’avons
sans doute pas fait de coquetiers à chaque empannage et nous nous sommes surement
un peu améliorés au fil de la nuit mais « c’était chaud ». De temps à autre un
départ au lof nous réveillait…
Manifestement la pédagogie
n’était pas le point fort de notre skipper. Au point que vers deux heures du
matin, alors que notre spi était enroulé autour de l’étai, je me souviens
parfaitement qu’à deux ou trois équipiers, nous faisions semblant de démêler ce
fichu spi pendant que notre barreur vociférait à l’arrière. Nous n’en « avions
rien à foutre » et nos conciliabules auraient pu s’appeler « petite discussion
dans un balcon avant… en vue de notre prochaine mutinerie»
Il n’empêche qu’à 3 heures du
matin, il a décidé de remettre cela sur l’autre bord. De nouveau, cela ne s’est
pas bien passé. Cette fois, rendu fou par notre incompétence, il cède la barre
franche au propriétaire et se précipite vers l’avant. Deux secondes plus tard, le
propriétaire barreur empanne involontairement et la bôme frappe violemment
notre skipper dans le dos. Il est projeté sous la filière détendue. Grâce au
fait que j’étais dans le cockpit de manoeuvre central, en me précipitant je
l'ai retenu avant qu’il ne passe sous la filière.
Le dos très douloureux, J.M. Carpentier finira la course allongé dans une couchette et nous continuerons sur un bord
sans empanner jusque dans le Pertuis
breton.
Au petit matin, dans le Pertuis breton, nous découvrons le Carter
37 « Pordin Nancq », plus long, sur notre travers. Finalement, pour de
petits débutants, nous n’avions pas si mal "marché".
20 ans plus tard, j’ai eu
l’occasion d'en parler avec Jean Michel
Carpentier. Cette course est mémorable pour lui aussi mais pour une autre raison.
Il a eu, cette nuit là, deux hypophyses
de vertèbres cassées qui se rappellent à lui trop fréquemment à son goût…
Cela peut paraître étonnant
aux plus jeunes, mais en 1974, un Contessa
35 était en France un « gros » voilier, ce qui se faisait de mieux. Par
exemple, ce même voilier à fait cette année là trois fois la couverture des
revues nautique de l’époque !
Solent Saracen devenu Lady of Solent
GUMBOOTS Gagnant de la One Ton Cup 1974
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