dimanche 11 mai 2014

Il y a 40 ans...la course croisière EDHEC 1974

« La deuxième course envoie tout le monde virer Belle-Ile : 106 milles, par une météo qui annonce une » petite dépression sur la Vendée. Peu après le départ, la brise monte les échelons Beaufort deux à deux. Les tragédiens parleront d’un force 10, les scientifiques parleront d’un force 10, les pragmatiques se souviendront d’un vigoureux 8. Bref, sur 107 partants, 14 finissent la course. ROMANEE, fort de sa robustesse, gagne cette épreuve vigoureuse. » » J-M. Barrault – Voiles &Voiliers de mai 1974


«  Pour la grande course de 106 milles, nos futurs administrateurs d’entreprise connurent un coup de vent soudain et peu prévisible. Force 10, dirent certains, les plus raisonnables annoncèrent force 8 avec rafales à 9. Résultat, sur 110 bateaux, 19 franchissaient la ligne d’arrivée. » Neptune Nautisme  de mai 1974


Au printemps 1974, je courais à Lorient et la Trinité sur un Flush Poker : « Viking ». A l’époque, c’était un voilier de pointe, les « gros » voiliers étaient les classe V : Arpège, Super Arlequin, Impensable… Il y avait aussi deux ou trois « très gros » : Chance 37,  Contessa 35, Dufour 35, Subversion, Centurion, …


Fort de nos bons résultats, nous prenions le départ de la course de l’Edhec au départ de Pornic avec des ambitions. Notre équipage de lycéens teigneux étant la base de notre équipage habituel lors des entraînements d’hiver de La Trinité.


Au départ de la grande course de 106 milles, la météo était médiocre puisqu’une dépression sévissait sur la Bretagne. Partir pour un long bord de louvoyage vers Belle-Ile dans la pluie par force 6 à 7 n’est jamais très enthousiasmant.


Pourtant, vers 10 h du matin, 107 voiliers ont pris le départ. Au cours, de la matinée, sous génois inter, nous tirons des bords vers Hoëdic. L’équipage reste stoïque au rappel. Avec la fougue de nos 20 ans, nous sommes persuadés que « c’est notre temps » et que « nous allons faire un truc ». D‘ailleurs au fil des croisements dans la boucaille, il se confirme que notre Flush « marche ». Nous croisons plutôt des Folie Douce, des Arpège que des voiliers de notre taille. Cela entretien le moral.


Dans l’après-midi, le vent forcit encore, jusqu’à force 7 probablement. Nous passons sous foc 1 avec 2 ris. Heureusement, relativement abrités par Belle-Ile dans notre ouest, la mer n’est pas trop mauvaise.


A la nuit tombée, nous apercevons les feux du Palais devant nous et envoyons le foc 2. Je commence à me demander s’il ne serait pas plus raisonnable de s’abriter pour la nuit car cela souffle fort et ne sommes que deux barreurs.


Soudain, dans la nuit, nous croisons de près la Scoumoune », un « Petite-fleur », le gagnant des entraînements d’hiver de Lorient qui, normalement, est plus rapide que nous et court pour gagner. Notre moral remonte d’un coup. Nous évacuons vite l’idée de prendre la première à gauche… Les dès sont jetés, nous continuons donc vers la 

pointe des Poulains, la pointe ouest de Belle-Ile. Les copains restent, stoïques, au rappel dans leurs cirés jaune, Equinoxe ou Cotten.


Abrités sous le vent de l’île proche, Claude nous mitonne une purée et une soupe bienvenues. Après avoir été pointé par un dragueur de la Marine, nous doublons la pointe des Poulains vers deux heures du matin et, abattant au largue, retrouvons les creux de 3 à 4 m  formés par la houle du large. Nous apercevons les brisants sur les falaises à 2 ou 300 m sous le vent, sur bâbord. Ce n’est pas le moment de démâter !
C’est un soulagement de débouler à 6.5 noeuds, d’être sur la route du retour. 

Psychologiquement, nous sommes quasiment arrivés alors que nous n’en sommes qu’à mi-parcours.


Pourtant, après une heure ou deux, le vent adonne au point que nous passons grand largue puis devons empanner bâbord amure. Le vent est maintenant nord-ouest, il a brutalement fraîchi. Dans les grains de neige, la visibilité est nulle et le vent atteint sans doute 50 nœuds, voire plus. Nous pensons tous aux récits de Grand Louis, Pen Duick VI, Kriter au Cap Horn ; eux qui, à ce moment même, terminent la première Course autour du monde à la voile : la Whitbread. Bien que frigorifiés, nous sommes à l’aise et, 

finalement, je ne regrette pas d’avoir gardé le foc 2. Chacun son tour, la couchette au vent voit se succéder les équipiers pour une heure ou deux.


Dans la matinée, entre deux grains, la visibilité devient bonne et le vent mollit mais nous n’avons pas le courage de renvoyer un foc plus grand. Nous ne sommes plus réellement en course, et nous contentons de larguer un ris, ce qui ne nous empêche pas de filer bon train. Devant, nous à l’horizon, nous apercevons une seule voile, derrière nous aucune.

En fin de matinée, nous franchissons la ligne d’arrivée devant Pornic. De nombreux concurrents sont déjà amarrés aux pontons. C’est alors que nous apprenons que sur 107 bateaux au départ, la majorité ont abandonnés et seulement 14 ont terminés ! Déception pour nous, même si nous sommes bien placés, dans notre classe, c’est un Folie-Douce qui gagne en temps compensé.


Ce sera le début d’une polémique dans la presse nautique, s’interrogeant sur l’opportunité de lancer des équipages d’étudiants par de telles conditions. « Cette rencontre nautique des grandes écoles européennes mérite donc de se développer mais avec quelques précautions et avec une sélection plus sérieuse des équipages… » Neptune Nautisme  de mai 1974